
Sœur Docteure
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C’est mon travail d’apporter des serviettes propres à l’infirmerie du couvent.
En rentrant, j’entends sœur Docteure qui dit : « Vite, apporte-les ici! »
Je me dépêche d’apporter les serviettes et, à ma grande surprise, sœur Docteure pointe à la tête de l’homme et me dit :
Appuie de toute ta force pour arrêter le sang pendant que je couds.
Je fais ce qu’elle me dit et bientôt le sang s’arrête, et l’homme respire calmement. Ça paraît sur son visage qu’il a un mal de tête effrayant.
(En michif) Ma pripari ein ti avek d’l’ikors di sôl rouj.
Je cours comme un lapin vers la cuisine. À mon retour, sœur Docteure est occupée avec un autre patient, puis elle me fait signe d’aider l’homme encore trop faible pour tenir la tasse.
— Comment est-ce que tu sais ce qui aide les migraines?
— Ma mémère m’amène avec elle ramasser des plantes pi des herbes.
— Estelle, est-ce que tu aimes la vie du couvent?
— Ah oui, je veux être une Sœur Grise, mais j’veux pas être une maîtresse d’école. Je pense que je serais bonne dans la cuisine comme sœur Laurent.
— Aimerais-tu aider à l’infirmerie?
— Ah oui, mon plus grand rêve, ça l’était de prendre soin des malades.
Le lendemain pi le jour après pi les semaines après ça, sœur Docteure m’enseigne toutes sortes de choses. Des fois, elle me dit : « Écoute bien, regarde bien. C’est important que tu te rappelles de ceci quand je serai plus là ».
— Ça part?
— Oui, je rentre au couvent à Ottawa.
Mais ma sœur! Cossé que les familles Méchifs vont faire sans leur sœur Docteure?
Le lendemain, mon père, ma mère et les Riel se rendent au couvent pour protester le départ de sœur Docteure. D’une voix sévère, la mère supérieure coupe court à leurs supplications :
« Sœur Sainte-Thérèse nous a été prêtée par son ordre religieux d’Ottawa pour trois ans. Il n’y a rien que je puisse faire pour la garder ici. Elle partira demain matin pour l’Est. »
Le lendemain matin, un Métis en charrette arrive au couvent pour chercher sœur Docteure et son petit sac de voyage.
Toutes les sœurs, les élèves et les travailleurs du couvent sont réunis pour lui faire leurs adieux.
Elle me cherche dans la foule pi je m’avance vers elle pour prendre sa valise.
Je l’accompagne jusqu’à la charrette, je salue le charretier qui m’a l’air familier.
Avant de monter, elle met la main dans la poche volumineuse de son manteau pi sort un chapelet noir qu’elle me donne.
« Tu prieras pour nous deux à l’intention de nos malades. Et je prie pour que j’aie de la patience pendant ce long voyage à Ottawa en train. »
Le lendemain après-midi, je vois une scène surprenante par la fenêtre d’en haut du couvent.
C’est la mère supérieure qui court avec ses jupes qui tourbillonnent autour d’elle comme une toupie.
Elle arrive à la charrette juste comme le charretier aide sœur Docteure à descendre.
C’est le charretier qui s’adresse à la mère supérieure : « Sur le chemin qui mène à St-Paul, un groupe de Méchis est venu contourner notre charrette et nous a obligés à rebrousser chemin vers Saint-Boniface ». C’était un gros groupe qui y’était pas de bonne humeur. J’avais pas le choix. Je vois sœur Docteure qui hoche la tête pour confirmer l’histoire du charretier. La sœur supérieure semble enfin comprendre que l’expérience a été bouleversante pour sa collègue.
Elle prend la valise et les deux religieuses marchent ensemble vers le couvent. Avant de partir, le charretier lève le regard vers la fenêtre où je suis, pi me fait un grand salut.
Je l’avais pas reconnu sans le bandage sur sa tête! C’est l’homme à qui sœur Docteure (pi moi!) on avait sauvé la vie il y a quelques mois.
Mon cœur chante. Merci d’avoir ramené sœur Docteure aux Méchifs.