Cette chronique se veut un ajout à la panoplie de ressources sur la langue française du Nénuphar, en se penchant à nouveau sur les anglicismes. Les calques, les faux amis, les anglicismes syntaxiques ou autres, monnaie courante normale en raison de l’assimilation de la majorité anglophone, sont au cœur de l’insécurité linguistique. Cette insécurité est soutenue par la méconnaissance… que peut-on faire devant un ennemi qu’on ne connaît pas? Tentons d’y remédier.
Table des matières
« Chez l’individu, la manifestation ultime de l’insécurité linguistique est le silence. La personne abandonne l’emploi du français plutôt que de continuer à se heurter à la marginalisation perçue.
Pour une collectivité, l’insécurité linguistique se solde par la chute libre du nombre de locuteurs et de locutrices du français et par l’érosion progressive des droits. »
– extrait de la mise en contexte de la SNSL¹
« L’insécurité linguistique se caractérise par l’absence d’un sentiment de confort linguistique chez le locuteur. […] Le doute quant à l’emploi de telle ou telle forme, la crainte de tomber dans un usage considéré comme fautif fait naître chez le locuteur une prise de conscience d’une distance existant entre ses pratiques langagières et celles préconisées par la langue considérée comme prestigieuse et légitime. »
Louis-Jean Calvet, dans son livre La sociolinguistique, précise :
« On parle de sécurité linguistique lorsque, pour des raisons sociales variées, les locuteurs ne se sentent pas mis en question dans leur façon de parler, lorsqu’ils considèrent leur norme comme la norme. À l’inverse, il y a insécurité linguistique lorsque les locuteurs considèrent leur façon de parler comme peu valorisante et ont en tête un autre modèle, plus prestigieux, mais qu’ils ne pratiquent pas ».
Comment répondre à l’insécurité linguistique?
Dans son document Stratégie nationale pour la sécurité linguistique, la Fédération de la jeunesse canadienne-française a défini des pistes d’action prioritaires, dont celle-ci :
Cette piste d’action se retrouve dans le document Développer la sécurité linguistique de Canadian Parents for French, un rapport de recherche orienté vers l’action :
« Il faut s’efforcer de développer et de maintenir la compétence linguistique, et il faut mettre en place les ressources requises pour soutenir l’apprentissage linguistique continu tout au long de sa vie. »
Ce type d’action est une partie intégrante de la mission du magazine Le Nénuphar qui a choisi, dès ses débuts, d’offrir des ressources permettant d’améliorer sa connaissance de la langue française et surtout, la capacité de reconnaître les anglicismes.
Nous offrirons donc, ici, chaque mois, une capsule informative sur l’usage du français.
¹ SNSL : Stratégie nationale pour la sécurité linguistique développée par la Fédération de la jeunesse canadienne-française
Présentation
Le verbe « jouer »...
en parlant d’un instrument de musique
Si je commence cette chronique par le verbe jouer, c’est que j’ai noté que son mauvais emploi est très répandu. Au point où j’ai vu la totale incompréhension dans les yeux de la jeune fille auprès de qui j’offre des services de tutorat en lecture lorsque je lui expliquais que l’on devait dire « jouer de la guitare » et non « jouer la guitare ».
En effet, lorsqu’on parle de faire de la musique, le verbe jouer utilise la préposition « de » ou l’un de ses dérivés (« du », « de la », « de l’ », « des ») suivi du nom de l’instrument de musique.
Exemples :
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Jouer du piano
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Jouer de la clarinette
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Jouer des cymbales
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Jouer du violon
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Jouer de l’harmonica
Mais ne vous sentez pas trop coupable si vous avez, à l’instar de bien d’autres, annoncé fièrement que vous jouiez le piano. Une recherche sur Google démontre que cette erreur est très courante.
Quelques ressources dénichées pour vous :
- Une page bien illustrée sur les utilisations du verbe jouer
- Quelques exemples d’utilisation et d’expressions avec le verbe jouer
- D’autres exemples avec illustrations sur les prépositions employées avec le verbe jouer
Le verbe « partager »...
dans le sens de « communiquer »
On entend parfois des phrases du genre :
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« Elles ont partagé leur histoire avec le groupe. »
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« Le directeur a partagé ses directives aux cadres supérieurs. »
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« Les dernières nouvelles seront partagées dans l’infolettre. »
Chacun de ces exemples est déconseillé, puisqu’il s’agit de calques¹ de l’anglais « to share ». On utilisera plutôt ici les verbes « raconter », « transmettre » et « communiquer » respectivement.
Il y a bien entendu des emplois corrects du verbe partager, par exemple lorsque l’on parle de « diviser », « distribuer » ou « rendre disponible », ce dernier cas dans le domaine de l’informatique entre autres.
Le verbe partager a plusieurs sens et s’emploie avec divers types de compléments. Ces derniers peuvent, par exemple, être introduits par les prépositions en, entre et avec. L’emploi de partager est déconseillé au sens de « communiquer »; il sera favorablement remplacé par divers équivalents selon le contexte.
Source : Partager et ses compléments, Vitrine linguistique, OQLF
Source : Antidote
« […] l’anglicisme *partager est aujourd’hui si répandu qu’on le retrouve même, malheureusement, chez les traducteurs professionnels. […] Si même les traducteurs professionnels se laissent tenter, il y a de bonnes raisons de penser que la situation est grave.
Est-elle irréversible? C’est difficile à dire… »
Source : partager (to share), Les faux amis
Le verbe « manquer »...
dans le sens de « manquer à quelqu’un »
S’il y a une expression qui a souffert de la contiguïté avec l’anglais, c’est bien « manquer à quelqu’un ». Lorsqu’une personne me dit « Je vais te manquer. », ma première réaction est toujours de répondre « Comment le sais-tu? ».
L’expression manquer quelqu’un est un calque de l’anglais to miss someone.
En français, dans le registre familier, on manque quelqu’un quand on arrive en retard à un rendez-vous.
Source : Manquer quelqu’un, Termium Plus, Clefs du français pratique
La traduction de « I’ll miss you. » est « Tu vas me manquer. » Eh oui, c’est « à l’envers »!
La traduction de « I’ll miss my dog. » est « Mon chien va me manquer. »
En résumé, lorsqu’on s’ennuie de quelqu’un ou de quelque chose, on dit que cette personne ou cette chose nous manque. Comme truc pour s’en souvenir (au début), c’est de penser à un autobus : si on dit qu’on a manqué l’autobus, c’est qu’on l’a raté, pas qu’il va nous manquer. 😉 Donc, on sait qu’on ne peut « rater » une personne si elle nous manque.
Source : Antidote
Une ressource dénichée pour vous :
Emploi déconseillé de je te manque à la place de tu me manques, Vitrine linguistique
Demander quoi?
« Demander une question » est une traduction littérale de « Ask a question » et est erronée. En français, on devrait dire « Poser une question ».
Donc, on peut poser une question à quelqu’un ou questionner cette personne.
Mais attention! Avant d’utiliser le verbe « questionner », il faut y penser à deux fois : cela dépend de l’emploi. Si l’on veut dire « douter » ou « contester », qui est le sens anglais de « to question », on doit plutôt dire « douter de quelqu’un ou de quelque chose », « mettre quelqu’un ou quelque chose en doute » ou « mettre […] en question ». Guy Bertrand y a d’ailleurs consacré une capsule que l’on peut consulter ICI.
Connaître et savoir
Connaissez-vous le verbe savoir?
Savez-vous utiliser le verbe connaître?
Il peut arriver que l’on hésite entre ces deux verbes parce qu’ils ont un sens commun.
Voici ce qu’en dit la banque de dépannage linguistique :
« Sur le plan sémantique, connaître, c’est avoir la connaissance de l’existence d’une chose, c’est l’identifier, la tenir pour réelle; tandis que savoir, c’est avoir une connaissance approfondie d’une chose qui résulte d’un apprentissage, c’est avoir dans l’esprit un ensemble d’idées et d’images constituant des connaissances à propos de cet objet de pensée. »
Les verbes « connaître » et « savoir » sont souvent confondus en français, car ils ont des significations similaires, mais sont utilisés dans des contextes différents. Voici quelques exemples concrets de mauvaises utilisations de ces verbes :
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Utiliser « connaître » à la place de « savoir » pour exprimer une information ou une connaissance générale :
MAUVAISE UTILISATION
BONNE UTILISATION
« Je connais que la Terre tourne autour du soleil. »
« Je sais que la Terre tourne autour du soleil. »
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Utiliser « savoir » à la place de « connaître » pour exprimer une connaissance personnelle ou une familiarité avec une personne ou un lieu :
MAUVAISE UTILISATION
BONNE UTILISATION
« Je sais bien Paris. »
« Je connais bien Paris. »
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Confondre les deux verbes dans le contexte de la familiarité avec une personne :
MAUVAISE UTILISATION
BONNE UTILISATION
« Je sais Marie depuis longtemps. »
« Je connais Marie depuis longtemps. »
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Utiliser « connaître » de manière inappropriée pour exprimer la possession d'une compétence ou d'une capacité :
MAUVAISE UTILISATION
BONNE UTILISATION
« Je connais jouer du piano. »
« Je sais jouer du piano. »
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Confondre les deux verbes dans le contexte de la familiarité avec des faits ou des événements passés :
MAUVAISE UTILISATION
BONNE UTILISATION
« Je sais bien l'histoire de cette ville. »
« Je connais bien l'histoire de cette ville. »
Sources et ressources :
Différence entre savoir et connaître, Banque de dépannage linguistique
Différence entre savoir et connaître, Podcast Français facile
OpenAI (2024). ChatGPT (Version 3.5) [Logiciel]. Extrait de https://openai.com/
Lalalère
MAUVAISE UTILISATION
BONNE UTILISATION
Les interjections « nananère », « tralalère » et « lalalère » signifient à peu près la même chose : elles servent à se moquer ou à se vanter. On utilise aussi tralalère ou lalalère lorsque l’on chante une chanson dont on ne connaît pas bien les paroles.
Malheureusement, on utilise aussi les « la-la » quand on ne connaît pas bien la langue française. Le grand chroniqueur Pierre Foglia a créé un mot pour décrire cette utilisation à tort du « l’ », la lalalisation. Dans une de ses chroniques, il nous informait que ce genre d’insertion d’une lettre superflue s’appelle une épenthèse.
Et pourquoi est-elle superflue cette lettre? Parce que l’ajout du « l’ » entre deux voyelles est une liaison fautive. Voici quelques exemples concrets :
Ça l'aide
Ça aide
Ça l’a pas d’allure
Ça n’a pas d’allure
Ça l’a été difficile
Ça a été difficile
Ça l’existe pas
Ça n’existe pas
Ça l’a l’air facile
Ça a l’air facile
Faire sens, faire problème
Dans une série sur les anglicismes, nous avons déjà expliqué ce qu’était un anglicisme phraséologique, soit une locution idiomatique traduite littéralement. Le journaliste Alexandre Poulin appelle ce genre d’anglicismes, des anglicismes invisibles parce qu’ils semblent français de prime abord.
Un bon exemple est l’expression « to make sense » qui, lorsque traduite littéralement, n’a justement pas beaucoup de sens : « faire sens » ou « faire du sens ».
On devrait plutôt dire que quelque chose « est insensé », « est illogique », « ne tient pas debout » ou, en langage familier, « n’a pas d’allure ». En fait, si l'on veut utiliser le mot « sens », c’est le verbe avoir que l’on emploiera : « avoir du sens », comme le mentionne Guy Bertrand dans une capsule linguistique précédente.
On trouve d’autres suggestions sur la page Web de l’OQLF, comme « être un choix sensé », « c’est une bonne idée », « cela semble logique » et quelques autres.
En ce qui a trait à « faire problème », le site Web du Figaro, un quotidien de la presse nationale française, suggère « poser, créer, constituer un problème ».
Quelques faux amis chez les adverbes
Les paires de mots de deux langues différentes sont considérées des « faux amis » lorsque ces mots se ressemblent tellement qu’on pourrait croire qu’ils ont la même signification alors que ce n’est pas le cas.
Les faux amis se retrouvent chez les noms, les adverbes, les adjectifs et les verbes. Considérons ici trois adverbes qui sont couramment utilisés à mauvais escient :
actuellement <=> actually
Actuellement et réellement – L'adverbe « actuellement » est souvent employé incorrectement sous l'influence de l'anglais pour rendre actually. Selon le contexte, il faut plutôt employer : effectivement, réellement, véritablement, vraiment, de fait, en fait, à vrai dire ou en réalité. Le sens français d'actuellement est : aujourd'hui, maintenant, à présent, en ce moment.¹
décidément <=> decidedly
Décidément et absolument – L’adverbe « décidément » s’emploie pour renforcer une affirmation. Si on s’en sert pour manifester la confiance ou la détermination, c’est qu’on emprunte à l’anglais decidedly. Lorsque l’on veut signifier « d’une manière décidée », on emploiera « décisivement » et pour exprimer un accord complet, « absolument ».
éventuellement <=> eventually
Éventuellement et finalement – Lorsqu’on utilise « éventuellement » pour un événement qui se réalisera hors de tout doute, cet adverbe est un emprunt à l’anglais eventually, qui peut exprimer la temporalité ou la finalité. Pour exprimer la temporalité, on emploiera : par la suite, un jour, plus tard, à un moment donné ou tôt ou tard. Pour exprimer la finalité : finalement, en fin de compte, en dernier ressort, en définitive ou à terme.²
Des calques de l’anglais
dans le domaine des affaires
Vous avez ou allez bientôt remettre les renseignements fiscaux de votre entreprise dans le cadre de la déclaration de revenus prescrite par le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux canadiens.
Si je vous dis que les expressions « année fiscale » et « rapport d’impôt » sont à proscrire en français puisqu’elles correspondent à des calques de l’anglais, cela vous surprend-il? Et, si vous le saviez déjà, voyons voir si vous connaissez les expressions à éviter énumérées ci-dessous et qui sont des traductions littérales, mais incorrectes en français.
Quelques autres calques et faux amis
Parmi les anglicismes courants qui corrompent la langue française en milieu minoritaire anglophone, on retrouve bien entendu des calques (traductions littérales d’expressions anglaises) et des faux amis (mots anglais qui présentent une similitude trompeuse avec des mots français). Nous en avons déjà présenté plusieurs dans diverses chroniques de la section LANGUE FRANÇAISE du Nénuphar. En voici quelques autres.
Bon matin! (calque de good morning)
Dans les langues latines, comme le français, on utilise « bonjour » tant qu’il fait jour.
Définitivement (faux ami de définitely)
Pour affirmer quelque chose avec force et assurance, on peut utiliser au choix : absolument, assurément, certainement, indéniablement, sans aucun doute ou sûrement.
Appel conférence (calque de conference call)
S’il s’agit d’une réunion par téléphone, on utilise conférence téléphonique, réunion téléphonique ou réunion par téléphone. Dans le cas d’une réunion en ligne qui permet aux participants de s’entendre et de se voir, on utilise téléconférence, conférence vidéo, vidéoconférence ou visioconférence.
En vente (calque de on sale)
En français, en vente signifie « pour être vendu ». On emploie plutôt « en solde» pour dire que le prix d’un article est réduit.
Prendre pour acquis (calque de to take for granted)
L’emploi de l’expression prendre pour acquis, traduction littérale de to take for granted, est déconseillé. Cette expression peut être remplacée par plusieurs verbes ou locutions verbales comme : tenir pour acquis ou, selon le contexte, tenir pour assuré, tenir pour admis, considérer comme acquis, considérer comme admis, présupposer, présumer, admettre au départ.
Sources :
12 anglicismes courants à démasquer, La Presse, Édition du 23 mai 2021
bon matin! Outils d’aide à la rédaction, Ressources du Portail linguistique du Canada
définitivement, Clefs du français pratique, TERMIUM Plus, Bureau de la traduction
vente (en vente), Clefs du français pratique, TERMIUM Plus, Bureau de la traduction
L’emprunt déconseillé prendre pour acquis, Banque de dépannage linguistique, OQLF
Le genre des noms
Certaines langues comme l’anglais, l’allemand et le russe ont trois genres : féminin, masculin et neutre. D'autres comme le japonais, le chinois et le coréen, n’expriment pas de distinction de genre. Et les langues romanes, dont la langue française, en distinguent deux : le féminin et le masculin.
Comment savoir si un nom est féminin ou masculin en français?
Cette question, posée sur le moteur de recherche Google, m’a offert cette réponse provenant de la zone d’entraide du site Web alloprof.qc.ca :
« Pour savoir si un mot est féminin ou masculin, tu peux regarder son déterminant. En effet, si son déterminant est masculin, le mot est masculin. S'il est féminin (la, une, cette...), le mot est féminin. »
J’ai eu l’envie d’ajouter « Sans blague! » Oui, c’est normalement vrai, mais on ne peut pas toujours se fier à ce qu’on entend, puisque les gens peuvent faire des erreurs. Par exemple, durant la récente période de revendications des employés des chemins de fer, au Canada, j’ai entendu à la radio : « plusieurs personnes ont expliqué qu’elles étaient arrivées à « un » impasse ». Si je me fie à cette règle, cela signifierait que le mot « impasse » est un mot masculin. Et pourtant non. Impasse est un mot féminin, son déterminant devrait donc être féminin.
Il y a plusieurs mots comme celui-là qui sont souvent employés au masculin alors qu’ils sont féminins. En voici des exemples, pour n’en citer que quelques-uns : aérogare, agrafe, apostrophe, armoire, autoroute, ecchymose, échelle, éliminatoire, énigme, équerre, icône, moustiquaire, orthographe, stalagmite…
Avez-vous remarqué que tous les mots énumérés ci-dessus se terminent avec la lettre « e »? Or, c’est la lettre qui marque en général le féminin : lorsqu’un nom se termine en « e », il y a de fortes chances que ce nom soit féminin.
Bien entendu, il y a des exceptions (fantasme, séisme, garage, atterrissage…), mais si vous n’êtes pas certain si un mot est féminin ou masculin et qu’il se termine par la lettre « e », vous avez de meilleures chances de succès en choisissant le féminin. La meilleure méthode demeure toutefois la vérification dans un dictionnaire.