Introduction
Je suis neuroatypique. Mon cortex frontal est sous-développé. Je manque un peu de maturité et beaucoup d’inhibition. Cela fait en sorte que je suis fonceuse et que j’aime prendre des risques. Mais aussi que j’ai tendance à parler sans mâcher mes mots. Mes émotions sont facilement à vif et je pense souvent différemment de la plupart des gens. J’ai aussi un gros côté créatif.
Ce que j’ai, en fait, c'est ce que l’on appelle un trouble de déficit d’attention (TDA) avec hyperactivité (TDAH). Étant traductrice de formation et constamment à la recherche du mot juste, j’éprouve pour ce terme une grande aversion. D’abord, un déficit, c’est un trouble. Ensuite, je n’ai de déficit d’attention que quand quelque chose ne m’intéresse pas. Autrement, je m’intéresse à tout, en même temps, et j’ai une capacité de concentration hors du commun quand je suis passionnée par un sujet. En réalité, il serait plus exact de qualifier les TDA de troubles de régulation de l’attention.
Je me suis autodiagnostiquée. Après deux visites chez deux psychiatres différents qui n’ont mené à rien, j’ai décidé de me tourner vers mon grand ami Google. C’est lui qui m’a fait découvrir Jessica McCabe. Elle a une chaîne YouTube et un site Web sur les TDAH, How to ADHD. C’est sa vidéo d’introduction How to Know if You Have ADHD, qui m’a permis de confirmer mes doutes. J’ai pleuré en la regardant.
J’ai pleuré aussi après avoir regardé la vidéo en pensant à mon mari qui s’était longtemps demandé ce qui n’allait pas dans ma tête. Vous allez me dire que tous les maris se posent cette question à l’occasion, et c’est le genre de commentaire que je reçois quand j’essaie d’expliquer ma situation. « Moi aussi, je perds toujours mes clés. », « Moi aussi j’ai de la misère à me concentrer. » Récemment, j’ai même entendu « Je pense que je suis un peu TDAH. » Un TDAH, c’est tout le contraire d’un peu. Ça a un impact sur tous les aspects de ta vie. Tu ne perds pas tes clés ou tes lunettes à l’occasion, et tes difficultés de concentration ne dépendent pas seulement du fait que tu es en train de digérer ou de ce que tu as mangé ou bu, ni du nombre d’heures que tu as dormi ou de la qualité de ton sommeil, ni de tout autre aspect environnemental. C’est un problème constant qui peut s’améliorer en adoptant des habitudes de vie saines, mais qui se règle rarement complètement de cette façon. Pour ma part, j’ai tout essayé. J’ai complètement changé mon alimentation, réduit ma consommation de café, je me suis mise en forme, couchée tôt. Ça a aidé, mais pas suffit.
Il faut dire que ma vie n’a pas été de tout repos. J’ai eu trois enfants de deux pères différents : le premier manquant depuis toujours et l’autre, le vrai, celui qui a adopté ma première et avec qui je me suis mariée en 1992, est décédé en 2017.
C'est donc seule que je veille aujourd’hui sur les miens, de près ou à distance : Aimée, 31 ans, ma conseillère, celle que rien ne semble pouvoir ralentir, même la dystrophie musculaire, mariée à David, le communicateur mélomane, complètement aveugle, mais pas du tout dupe; Émile, 28 ans, mon coloc, un petit seigneur aux idées de grandeur, tantôt fâché tantôt rieur, étudiant bientôt diplômé et père monoparental de mes deux petits-enfants adorés, Jane, 8 ans et John, 6 ans, leur mère, à l’occasion; et Val, 26 ans, la tête, l’anxieuse, la bricoleuse, celle qui ressemble le plus à son père, qui nous complète tous et sur qui l’on peut toujours compter, mariée à Charles, l'arboriste en voie de devenir pompier. Chacun a ses forces et ses faiblesses, ses instants de gloire, ses moments de détresse. Nous ne sommes pas toujours unis dans un même effort, mais nous tentons de nous aider les uns les autres à donner du sens à notre vie, en dépit de nos limites et au maximum de nos capacités.
Je me demande parfois, souvent en fait, si j’aurais choisi de faire des enfants si le deuxième n’était pas venu s’imposer. Si c’était à refaire… La question qui pue, qui pique. Cinq petits mots qui occupent trop de place dans mes pensées. Jusqu’où retournerais-je dans le passé? Quelle décision irais-je changer? Garderais-je le deuxième enfant ou me ferais-je avorter une fois de plus? Si je le gardais, en aurais-je encore deux autres par la suite?
Combien de pères et de mères pensent qu’ils n’auraient peut-être pas dû avoir d’enfants et combien n’en ont pas et se disent qu’ils devraient ou auraient peut-être dû en avoir. Si vous n’avez pas eu d’enfants ou que vous hésitez à en avoir, venez me voir. Je vous dirai ce qui en est. Je vous raconterai comment on n’est jamais prêt; comment une partie du cours de sexualité au secondaire devrait porter sur les attentes et les réalités d’être parents; comment les classes de préparation à la naissance devraient commencer et finir par un quart d’heure d’automutilation, histoire de se préparer à l’accouchement et aux soixante prochaines années; comment les couples ne sont pas faits pour durer; comment les hommes ne sont pas programmés pour rester…
Dans le contexte socio-économique actuel, de plus en plus de gens ont de moins en moins d’enfants. Les jeunes demeurent plus longtemps avec leurs parents et parmi ceux qui ont eu l’audace de partir, nombreux reviennent, seuls ou avec un ou plusieurs enfants. C’est ma réalité à moi, la grand-mère qui rêve souvent de partir elle-même. Quelques jours ou indéfiniment.

Je reviens justement de vacances. Ça faisait cinq ans que je n’en avais pas prises. Je suis allée en Colombie-Britannique avec mon fils et ses enfants. Nous avons déposé les enfants chez leur mère, à Kamloops, puis avons continué jusqu’à Vancouver. Mon fils est reparti trois jours plus tard. Ça m’a laissé deux jours à moi.
C’est alors que j’étais seule dans le confort et la tranquillité de ma spacieuse chambre d’hôtel que Jacinthe m’a écrit pour me demander si j’étais prête à contribuer au Nénuphar en tant que chroniqueuse. Nous avions pris contact quelques années plus tôt, mais je n’étais pas prête. Cette fois-ci, je le suis.
Par l’entremise de mes récits, je me propose de vous faire connaître la réalité de gens atypiques sur le plan physique ou neurologique et de vous sensibiliser aux défis qu’ils doivent surmonter au quotidien.
Le mois prochain, j’entreprendrai de vous raconter d’où je viens et par où je suis passée pour arriver ici. Ici au Manitoba et ici à l’aube de la soixantaine. En termes de distance, c’est négligeable, mais en termes d’expérience, c’est incommensurable. Je suis proche aidante et je viens de loin.