La faim justifie les moyens
Récemment, Val, ma dernière-née, et moi avons célébré son 25e anniversaire de naissance. En temps normal, j’aurais reçu toute ma famille et servi mon gâteau traditionnel, rehaussé de JELL-O rouge qui bouge toujours, et arrosé de crème glacée à la vanille – parce que de la crème champêtre, au Manitoba, on n’en trouve pas – mais je n’ai pas pu en raison des restrictions liées à la COVID. Nous nous sommes installées sur ma terrasse. Heureusement, c’était l’été indien alors Val et moi n’avons pas eu besoin de nous envelopper, à moins d’un mètre, dans la couverture que je lui avais offerte.
Quelques jours plus tard, le 11 novembre, plus précisément, j’ai préparé un gâteau pour commémorer la mort au combat contre le cancer de mon mari. Comme pour l’oncologiste de Peter, la recette que j’ai utilisée n’a pas donné les résultats espérés. J’ai remis le gâteau au four et l’ai regardé brûler en mangeant le JELL-O rouge coquelicot et la crème glacée blanc cadavre. Je me souviendrai longtemps de ce gâteau du Souvenir.
Pour les vingt-cinq ans de mon fils Émile, deux ans auparavant, nous sommes allés ensemble acheter une bicyclette. Il s’était fait voler celle qu’il avait héritée de son père. Sur le chemin du retour, nous nous sommes arrêtés au Starbucks, où il travaillait à l’époque, pour prendre un café et vérifier son horaire. En sortant de son espace de stationnement, Émile a reculé dans l’auto d’un client régulier. Bon anniversaire!

Pour célébrer son quart de siècle, Aimée, ma première-née, est sortie avec des amies. Elles avaient réservé leur place dans un restaurant, s'étaient faites particulièrement belles, puis étaient parties dans notre fourgonnette adaptée, conduite par une amie. Arrivées au restaurant, elles n'ont pas frappé un client, mais un autre type d'obstacle : des marches. Et pourtant, elles avaient appelé pour s’assurer que l’endroit était accessible.
- C’est juste quelques marches. Nous allons vous aider à les franchir, qu’ils ont dit.
Le fauteuil électrique d’Aimée, avec elle dedans, pèse près de 500 livres…
Elles ont traversé la rue pour se rendre chez l'Italien. Comme c'était un samedi soir, l’endroit était plein à craquer, mais, les Italiens étant ce qu’ils sont, on leur a fait de la place, puis offert un verre à la fêtée.
Dans la plupart des villes canadiennes, aucune règle n’impose aux marchands de rendre leurs commerces accessibles aux gens en fauteuils roulants. La Loi sur l’accessibilité pour les Manitobains, une norme d’accessibilité pour le service à la clientèle, établie à l’intention des entreprises, des organismes sans but lucratif et des petites municipalités, est entrée en vigueur le 1er novembre 2018. Les organismes ont eu trois ans pour se préparer à offrir à tous le plein accès à leurs biens et services. La plupart se sont conformés. D’autres font passer leurs clients par la porte des employés. Et certains continuent de croire que quelques marches ne constituent pas un obstacle à l’accessibilité. En fait, selon mon Aimée, l’accès au cadre bâti ne fait pas partie des exigences… Étrange. Comment peut-on servir une personne en tenant compte de ses handicaps si elle ne peut pas accéder à l’endroit où les services sont offerts?
Après avoir agi à titre de conseillère à l'emploi auprès de personnes handicapées et de leurs employeurs actuels et potentiels, elle conseille aujourd'hui des décideurs de diverses entités fédérales soumises à la Loi canadienne sur l’accessibilité. Dans le cadre de cette loi, ces entités doivent éliminer les obstacles à l’emploi, à leur environnement physique, aux technologies de l’information et des communications qu’elles utilisent, aux communications qu’elles produisent, aux biens, services et installations qu’elles se procurent et aux programmes et services qu’elles offrent. Tout cela dans le but de rendre le Canada accessible à tous d’ici 2040.
Moi aussi j’aimerais servir la cause. Ces temps-ci, j’aurais envie de tout vendre pour pouvoir me consacrer à la défense des personnes handicapées. Aux dires d’Aimée, trop d’organismes sont dirigés par des gens sans handicaps qui ne possèdent pas les qualités ou l'expérience requises pour bien remplir leur mission. Moi, j’ai l’expérience vécue, directement et indirectement, la détermination et l’énergie, mais mon manque de constance et de discipline me handicape – et n’a rien à voir avec mon handicap réel, soit écrit en passant. Ça me prendrait un harnais et quelqu’un de fiable et de bien intentionné qui saurait me diriger, me ramener sur le droit chemin quand je m’égare, genre un mari… Non, j’ai essayé le mari et ça n’a pas aidé. Genre un coach.
Eh bien, je m’en suis trouvé un coach. Le mois dernier, j’ai réussi à terminer à temps le cours auquel je m’étais inscrite (voir Cent fois sur le métier, remettez votre ouvrage) pour pouvoir me prévaloir des trois mois de coaching individuel gratuits. Chaque samedi matin, ma coach m’appelle pour m’aider à faire du ménage dans ma tête et à fixer deux ou trois objectifs précis, pertinents, mesurables et atteignables pour la semaine. La semaine dernière, c’était préparer un emploi du temps détaillé et faire plus d’exercice (plus précisément, faire le tour du parc trois fois, aller au gym deux fois, faire des étirements une fois). Cette semaine, c’est ranger mes lunettes dans leur boîtier dès que j’ai fini de les utiliser, me coucher avant dix heures et me lever avant sept heures, et réfléchir avant d’agir. Comme dirait Bob, dans What About Bob, « à pas de bébé ». C’est peu, mais la somme de tous ces petits changements m’aidera à fonctionner mieux. Une autre option serait de trouver quelqu’un qui m’aiderait à faire du ménage dans ma maison…
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