Un oiseau dans ma cour
Ces paroles inspirées de lectures, de rencontres, de réflexions et de sa propension à jeter un regard critique sur la société qui l'entoure, Guy les offre aux créateurs de musique à la recherche de textes significatifs.
« La chanson… c’est un vivant petit oiseau sensible et intelligent dont l’univers est la cour, il connaît et ressent tout mais en petit, c’est très parent avec le conte et la fable. » – Félix Leclerc
La petite bonté
Dans mon article intitulé L’amour et son petit lexique, je vous ai parlé de cet amour universel que les Grecs appelaient l’agapè, un amour bien loin de celui auquel nous faisons référence la plupart du temps. Il s’agit de cet amour « gratuit, qui est pure douceur et qui se vit dans l’oubli de soi », nous dit le philosophe Comte-Sponville. J’ai écrit ce texte intitulé Aimer en pensant à tous ceux et celles qui donnent le meilleur d’eux-mêmes pour aider les autres « sans motif, sans intérêt, et même sans justification » pour reprendre encore les termes du philosophe. Je pense notamment à des gens comme Gilles Kègle, celui qu’on appelle « l’infirmier de la rue », qui œuvre auprès des plus démunis du quartier St-Roch à Québec. Je pense à tous ces gens qui nous rappellent que c’est dans sa « petite bonté » que l’homme exprime réellement son humanité.
« La petite bonté », c’est le titre d’un texte de l’essayiste Bernard Émond paru dans la revue Relations en décembre 2013 et réédité en 2017 dans son magnifique petit bouquin intitulé Camarade, ferme ton poste - et autres textes (quel beau livre! soit dit en passant). Qu’est-ce donc que « la petite bonté »? Que peut-elle pour nous?
Émond traite de cette idée en faisant référence aux réflexions de l’un des personnages du roman Vie et Destin de Vassili Grossman, roman vu comme l’un des plus grands livres du siècle. Ce personnage, Ikonnikov, vit l’horreur des camps de concentration et, à travers ses dialogues avec ses camarades prisonniers, il s’interroge sur ce qu’est le bien. Il constate que l’idée de bien est variable selon les points de vue et il réalise surtout que cette idée dévie souvent de sa trajectoire lorsqu’elle est érigée en système. C’est ainsi que le christianisme, doctrine de paix et d’amour, a fini par aboutir à des guerres de religion, que le communisme, idée généreuse, est devenu dictature, etc. Mais à côté de ce « grand bien » qui finit par faire plus de mal que de bien, il y a justement « la petite bonté » qui, elle, demeure invincible. L’auteur du roman la décrira comme suit :
« Il existe, à côté de ce grand bien si terrible, la bonté de tous les jours. C’est la bonté d’une vieille qui, sur le bord de la route, donne un morceau de pain à un bagnard qui passe, c’est la bonté d’un soldat qui tend sa gourde à un ennemi blessé, la bonté de la jeunesse qui a pitié de la vieillesse, la bonté du paysan qui cache dans une grange un vieillard juif […] ».
« Cette bonté privée d’un individu à l’égard d’un autre individu est une bonté sans témoins, une petite bonté sans idéologie. On pourrait la qualifier de bonté sans pensée. La bonté des hommes hors du religieux et du social. Mais, si nous y réfléchissons, nous voyons que cette bonté privée et occasionnelle, sans idéologie, est éternelle […] ». *
*Tiré du texte « La petite bonté », du livre de Bernard Émond mentionné plus haut, publié chez Lux – Lettres libres.
Aimer
Il marche dans la rue
Regarde les visages
Des visages perdus
Dans leur peine, leur rage
Le voilà qui s’émeut
Devant ces corps qui tremblent
L’amour vit dans ses yeux
Bien plus que dans les temples
Aimer, aimer, encore aimer
Aimer, aimer, toujours aimer
Il marche dans la rue
Regarde vers le ciel
Les étoiles ne sont plus
Que de petites chandelles
Mais lui, le cœur ouvert
Amoureux de la vie
Se nourrit des lumières
De ses pas affranchis
Aimer, aimer, encore aimer
Aimer, aimer toujours aimer
Il marche dans la rue
Surgit comme un soleil
Éveille de sa venue
Des bonheurs qui sommeillent
Il tient l’humanité
Pour la plus haute valeur
Et ne veut exister
Que s’il réchauffe les cœurs
Aimer, aimer, encore aimer
Aimer, aimer, toujours aimer