Être Métis de la rivière Rouge, c’est appartenir à l'un des trois peuples autochtones reconnus au Canada. Les Métis possèdent donc une identité propre et une culture qui leur est commune. Dans cette chronique, nous allons faire la lumière sur les origines des Métis et de la nation Métis et parler de leur histoire.
Avec la collaboration d'Arianne Mulaire, directrice administrative,
Union nationale métisse Saint-Joseph du Manitoba.
– TABLE DES MATIÈRES –
Quand on veut dresser un portrait des Métis et parler de leur histoire, et qu’on commence à fouiller parmi les écrits, on rencontre des mots comme « controverse », « marginalisation », « frustration », « complexité », « injustice », « exil »… et on se rend vite compte que pour comprendre ce que signifie être Métis de la rivière Rouge, il faut remonter à la source. C'est ce que nous avons tenté de faire, avec la collaboration d'Arianne Mulaire de l'Union nationale métisse Saint-Joseph du Manitoba.
En commençant par le commencement
Les coureurs des bois
Dès le début de la colonisation de la Nouvelle-France, au milieu du XVIIᵉ siècle, les Autochtones entrent en contact avec ces jeunes hommes venus de l’Europe pour s’emparer des ressources naturelles des Pays d’en Haut¹ à des fins commerciales. En effet, avec leur engouement pour les hauts-de-forme en feutre de castor, les Européens ont fini par faire presque disparaître cet animal de leur continent. Qu’à cela ne tienne, on découvre une nouvelle source d’approvisionnement de l’autre côté de l’océan Atlantique.
Un coureur des bois
Arthur Heming, Bibliothèque et Archives Canada, C-005746
Bien qu’intrigués par les objets décoratifs tels que les perles et les broches, les Autochtones déterminent ce qui peut leur être utile et demandent surtout des objets en métal (chaudières, aiguilles, ciseaux, divers outils), du tissu, des chandelles, etc. Plus tard, ils se feront offrir des armes et de l’alcool pour des raisons calculées qui dépassent le simple troc.
Les administrateurs de la Nouvelle-France commencent à voir d’un mauvais œil le mode de vie des coureurs des bois qui se déplacent pendant de longs mois et nouent des alliances avec les Autochtones. Dans le but d’encadrer ces jeunes et d’endiguer le dépeuplement de la colonie, on instaure un système de congés de traite où l’on fait signer des permis par les coureurs des bois qui deviennent ainsi des engagés. Ces engagés sont appelés des « voyageurs » et ils ont maintenant une profession respectable.
Dans la chronique Sur les traces des voyageurs, Gilles Bédard offre des détails sur l’origine de l’appellation « voyageurs » qui a suivi celle de « coureurs des bois ».
Les voyageurs
Alors qu’il devient plus difficile d’obtenir un permis de traite et des marchandises à crédit, l’écart s’élargit entre les coureurs des bois et les voyageurs. Ces derniers se font engager sous contrat par des marchands et l’appellation « coureurs des bois » devient négative, car associée à « hors-la-loi ». Le statut du voyageur qui se fait engager lui permet parfois de commercer pour lui-même et on voit naître les « marchands voyageurs ».
C’est dans un but mercantile que les deux rivales dans le négoce de fourrures, la Compagnie de la Baie d’Hudson et la Compagnie du Nord-Ouest, ont parfois encouragé les unions des voyageurs avec des femmes des Premières Nations. En effet, on avait constaté que le succès de la traite des fourrures et l’établissement de réseaux commerciaux découlaient de l’efficacité de ces unions qui réduisaient les coûts de vie en hiver, lorsque les voyageurs restaient dans les communautés de leurs partenaires.
Et c’est ainsi que l’histoire de la nation Métis connaît ses débuts.
Voyageurs franchissant les rapides au Manitoba
Source : La vie des voyageurs, Magazine Le Nénuphar, déc. 2017 © Toute reproduction interdite
Identité distincte
« L’identité métisse en tant que telle se détermine par trois critères :
- se considérer comme Métis;
- être membre d’une collectivité métisse contemporaine;
- entretenir des liens avec une collectivité métisse historique. »
Dans la plupart des textes portant sur les Métis, on s’entend pour dire que c’est leur culture propre qui les définit comme membre de la nation Métis, c’est-à-dire leur identité et leur mode de vie distinctif.
Selon l’Encyclopédie canadienne,
Pour confirmer le dernier point, on a déterminé 10 critères à l’issue de l’affaire Powley, une affaire juridique qui s’est étirée de 1993 à 1998 et qui traitait des droits de chasse des peuples Métis du Canada. Parmi ces critères :
-
le groupe d’ascendance Autochtone forme une identité collective sociale « distincte »;
-
le groupe vit ensemble dans la même zone géographique;
-
le groupe partage un même mode de vie.
En mars 2021, la sénatrice Yvonne Boyer, dont les ancêtres sont issus de la Nation métisse de la Saskatchewan et de la rivière Rouge, déclarait :
Pour comprendre la force de cette philosophie politique citée par l’honorable Yvonne Boyer, il faut plonger dans la thèse doctorale de Xavier Bériault, où il soutient que « Lorsque les dirigeants de la colonie s’appuient de manière autoritaire sur les droits et privilèges de la charte royale pour prendre des décisions imprudentes qui ne reçoivent pas le consentement des communautés métisses, leurs leaders mobilisent les expériences et les pratiques de la fondation des conseils de la chasse pour former spontanément des formes d’organisation de résistance dotées de légitimité populaire et chargées de renégocier un compromis politique avec les transgresseurs afin de rétablir l’équilibre dans leurs rapports diplomatiques. »
« Pendant la traite des fourrures, des hommes européens, principalement d’origine écossaise, française et anglaise, voyageaient et travaillaient sur les routes de commerce historiques. Ces commerçants ont tissé des relations avec des femmes cries, assiniboines, saulteuses, anishinaabes et dénées, formant ainsi des familles dont l’économie et les relations étaient définies par le commerce de la fourrure.
En peu de temps, les Métis ont créé une société distincte avec un caractère culturel, économique et social qui lui était propre — semblable, mais différent de celui des Premières Nations. Plus important encore, la société a forgé une philosophie politique et des structures de gouvernance fondées sur le bien-être collectif et le sentiment d’indépendance par rapport aux autres peuples. En tant que nouvelle nation et société distincte, les Métis ont occupé un créneau économique particulier associé au commerce de la fourrure. Ils ont mis en place des réseaux complexes de familles élargies, réparties dans tout le centre de l’Amérique du Nord et qui servaient de sources d’alliances sociales, politiques et économiques. Ils avaient une structure de gouvernance bien précise, encadrée par une orientation politique destinée à assurer la santé et le bien-être de la société. »
Source : Déclarations de sénateurs, Sénat du Canada
Conseils de la chasse
Dans l’introduction de cette chronique, nous avons vu que le castor, très recherché en Europe, a été une des raisons principales des échanges entre les Autochtones et les coureurs des bois devenus voyageurs, et que ces échanges ont mené à la naissance de la nation Métis.
Au début des années 1840, quand la demande pour les peaux de castor diminue en Europe, on se tourne vers le bison qui représente une perspective économique intéressante. En plus de répondre à plusieurs besoins des Premières Nations, comme la nourriture, l’abri, les vêtements et les outils, plusieurs produits dérivés du bison sont vendus sur le marché américain. On peut mentionner la langue de bison séchée qui est un mets fin dans l’est du Canada et aux États-Unis, les vêtements et le cuir. On a en effet beaucoup besoin de cuir afin de fabriquer des courroies qui servent aux nombreuses machines durant la deuxième révolution industrielle.
Le bison était une véritable manne et fournissait les nécessités de la vie. On ne gaspillait aucune partie de l'animal. La viande, la graisse, les organes et la moelle procuraient de la nourriture et l'on utilisait la peau pour en faire des tentes, des chemises de nuit, des vêtements et des mocassins. On utilisait les os pour faire des outils et les côtes pour faire des patins de traîneau. Une fois évidées, les cornes étaient transformées en gobelets et en contenants pour la poudre à canon. On enfilait les incisives perforées pour confectionner des colliers et les vertèbres étaient transformées en jetons pour les jeux de hasard. Les vessies constituaient des récipients à eau idéals et la queue un excellent tue-mouches. Enfin, la bouse séchée fournissait du combustible en abondance dans les prairies.
Source : Les Métis, chasseurs de bisons, Musée canadien de l'histoire
Pour chasser le bison, on organise des expéditions de chasse réparties au cours de l’année. Ces expéditions peuvent durer de deux à trois mois et compter jusqu’à 2 000 chasseurs métis. Les groupes de chasse comptent habituellement un général ou un chef et de nombreux capitaines qui dirigent des sections. Les Métis sont rapidement conscients que le bison est une ressource non renouvelable qui doit être protégée et pour cela ils adoptent des « lois de la chasse » appelées aussi la « Loi des Prairies ».
Ces expéditions de chasse sont accompagnées de plusieurs femmes qui suivent les chasseurs à bord de charrettes. Ce sont elles qui transforment la viande à partir des carcasses pour en faire, entre autres, du pemmican.
Les camps de chasse étaient rigoureusement organisés et dirigés sur un mode martial. Toutefois, on y observait aussi, lors des chasses, une forme de démocratie fondée sur le consensus. Dirigées par les aînés, des assemblées informelles étaient constituées avant chaque chasse pour garantir l’application des lois. Une fois toutes les charrettes réunies dans le camp, un conseil était élu de manière consensuelle, qui comprenait un chef, des officiers d’état-major, des capitaines, des soldats et des guides.
Source : La chasse au bison, Atlas des peuples autochtones du Canada
On apprend, dans la thèse de doctorat de Xavier Bériault mentionnée dans l’article précédent, que ces conseils de la chasse sont animés par des principes de démocratie directe, délibérative et représentative.
Les principes politiques des conseils de la chasse devront attendre la Résistance de 1869-1870 et le génie politique de Louis Riel avant de trouver leur forme institutionnelle la plus achevée avec la fondation du gouvernement d’Assiniboine qui a été chargé de négocier avec le Dominion canadien l’entrée de la province du Manitoba au sein de la Confédération.
La quasi-disparition du bison
Dans l’article du mois dernier qui porte sur les conseils de la chasse, nous avons écrit que les Métis étaient conscients que le bison pouvait disparaître et prenaient des moyens pour le protéger. Voici ce que nous a appris Arianne Mulaire, de l’Union nationale métisse Saint-Joseph du Manitoba lorsque nous l’avons rencontrée :
« Il faut savoir qu’à ce moment-là, la politique des gouvernements qui s’imposaient était en fait d’éliminer les bisons.
Durant la période de la chasse aux bisons, les Métis et les Premières Nations ont pris conscience du fait que les demandes de bison étaient plus élevées que la vitesse de reproduction du bison. Mais ils n’étaient pas seuls à chasser, les Européens le chassaient aussi. Les Métis et les Premières Nations voyaient le bison comme une source économique dans le contexte des années 1840-1880. Quand ils ont vu que le bison allait être complètement éliminé, les capitaines de chasses ont fait part de leurs inquiétudes de la pénurie de bison à plus ou moins long terme aux compagnies et entités politiques mais la réponse a été indifférente sachant qu’avec la perte de cette ressource, les peuples de l’Île de la Tortue allait devenir dépendent des colonies.
En fait, les responsables étatsuniens avaient manifesté très clairement qu’ils désiraient éliminer les bisons parce qu’une fois disparue leur source première de nourriture, d’habits et d'outils, les Premières Nations et les Métis seraient à la merci du gouvernement pour s'habiller, se nourrir et se loger. Pour arriver à leurs fins, ils ont donné leur appui aux chasseurs. Le gouvernement canadien, de son côté, n’a pas ouvertement pourchassé le bison, mais n’a pas tenté non plus de contrevenir aux pratiques de chasse commerciale excessive. Le résultat fut le même : la quasi-extinction des bisons. »
Peaux de bison en attente d’être acheminées vers les tanneries
Parc à peau de bison chez Rath & Wright's en 1878, avec 40 000 peaux de bison, Dodge City, Kansas. Source : Wikimédia, Domaine public
Photographie du milieu des années 1870 d'un tas de crânes de bisons américains attendant d'être broyés pour l'engrais. Source : Wikimédia
On rapporte, dans l’Encyclopédie canadienne :
« Avant l’arrivée des Européens, on estime que les bisons des plaines et les bisons des bois comptaient respectivement 30 millions et 170 000 têtes. […] À la fin du 19e siècle, le bison des plaines a disparu du Canada et le bison des bois ne compte plus que quelque 200 animaux. »
Sources de renseignements :
Bison Back from Brink of Extinction, Brian Bergman, The Canadian Encyclopedia (en anglais)
Clearing the Plains: Disease, Politics of Starvation, and the Loss of Indigenous Life, par James Daschuk Ph.D, Elizabeth A. Fenn, et al. | 2 mars 2019
La disparition des bisons des Grandes Plaines nord-américaines, Frédéric MOREAU, La Clé des Langues [en ligne], Lyon, ENS de LYON/DGESCO (ISSN 2107-7029), mai 2020. Consulté le 01/03/2023.
Four Faces of the Moon, oeuvre artistique produite par Amanda Strong, Spotted Fawn Productions, 2016 (français, michif, cree, nakoda, chippewa, anishinaabemowin)
La croix de la résistance
Notre conversation du mois avec Arianne Mulaire, de l’Union nationale métisse Saint-Joseph du Manitoba a porté sur la résistance. Voici un sommaire de l'événement de La Barrière :
En route pour Winnipeg (Fort Garry en ce temps-là) pour faire du Manitoba une province, les généraux du gouvernement fédéral sont arrivés à Pembina juste au sud du Manitoba, au nord du Dakota du Nord. Des arpenteurs étant déjà venus quelques mois auparavant, on s’attendait donc à l’arrivée de ces généraux. Louis Riel fait parvenir un ordre écrit selon lequel toute tentative de McDougall d'entrer dans la colonie de la Rivière-Rouge serait bloquée à moins que les Canadiens n'aient d'abord négocié des conditions avec les Métis et avec la population de la colonie en général.
Malgré cet ordre, deux membres de l'administration de William McDougall, alors lieutenant-gouverneur des Territoires du Nord-Ouest, atteignent la frontière le 30 octobre 1869. Louis Riel et ses partisans, qui incluent notamment des missionnaires francophones qui soutiennent Louis Riel dans la résistance, ont érigé une barrière à Saint-Norbert pour l’empêcher de venir à Fort Garry. Il faut savoir que Fort Garry était devenu le centre politique de la région et qu’il fallait passer par Saint-Norbert pour s’y rendre.
Cette barrière en bois n’était pas une très grosse barrière, mais, en prévision de l'arrivée de troupes armées en provenance de l'Ontario, s’y trouvaient aussi environ 200 Métis venus pour empêcher les généraux de passer. De plus, on a envoyé un message pour informer les intrus qu’ils ne pourraient pas passer. Deux généraux sont quand même venus et ont dû virer de bord à la barrière, et le tout s’est déroulé en paix.
Cet incident, aussi insignifiant qu’il puisse sembler, a été un point décisif dans la Résistance de la Rivière-Rouge. Après avoir dressé une croix sur le site de la barricade, Louis Riel et ses alliés s’emparent de Fort Garry et en font le siège du gouvernement provisoire. Par conséquent, le gouvernement fédéral a été forcé de négocier avec les nations qui habitaient déjà ici, surtout des Métis.
La croix – souvenir de la barrière. Source : Société historique de Saint-Boniface
Cliquez sur ce document pour l'ouvrir en format PDF.
Lettre de Louis Riel à John Bruce à propos de l'arrivée de William McDougall, 19 octobre 1869.
Archives de la SHSB, Fonds Frank Larned Hunt, 0621/1813/1
Souvenir de la Barrière, Collection générale de la Société historique de Saint-Boniface
Photos de gens qui ont participé à la barrière. Il s'agit d'une feuille publiée dans La Liberté. C'était probablement un calendrier publié en 1944, pour le centième anniversaire de la naissance de Louis Riel.
Le règne de la terreur et les périodes sombres
L’année qui suivit l’incident qui a mené à l’érection de la croix de la résistance et à l’installation du siège du gouvernement provisoire à Fort Garry (voir La croix de la résistance), Wolseley amène des troupes au Manitoba pour arrêter ce gouvernement de Louis Riel.
Rappelons que le 12 mai 1870, la Loi sur le Manitoba entre en vigueur et fait du Manitoba la cinquième province du Canada. Et en vertu de cette loi, on promet aux Métis 1,4 million d’acres de terre… promesse qui ne sera jamais tenue. C’est le 15 juillet de la même année que les troupes du colonel Garnet Joseph Wolseley entreprennent leur périple vers Winnipeg, marquant ainsi le début du règne de la terreur. L’expédition militaire doit servir à forcer le transfert des terres de la Compagnie de la Baie d’Hudson, une vaste étendue connue sous le nom de Terre de Rupert qui comprend la colonie de la Rivière-Rouge, au Dominion du Canada, mais elle a pour but aussi d’affronter Louis Riel et la résistance métisse.
Craignant pour sa vie, car il est faussement accusé d’avoir condamné à mort l’orangiste Thomas Scott, le jeune Louis Riel fuit aux États-Unis à l’arrivée des troupes de Wolseley. Il s’ensuit un règne de terreur; les Métis sont la cible de racisme, y compris d’actes violents et d’assassinats.
Après 1870, les Métis ne se sentent plus les bienvenus dans la colonie de la Rivière-Rouge – une étendue de terre qu’ils considéraient autrefois comme leur chez-soi. Nombre d’entre eux se cachent et s’installent dans des communautés qu’ils construisent sur des emprises routières à la périphérie des villes, ou tentent de se fondre dans la nouvelle communauté de colons en niant leurs racines métisses. De plus, en vertu de la Loi sur les Indiens introduite en 1876, les Métis n’appartiennent pas non plus aux réserves même si plusieurs d’entre eux ont des membres de leur famille vivant chez les Premières Nations voisines.
C’est le nœud du problème lorsqu’il s’agit de l’identité métisse — nous avons de la difficulté à déterminer notre appartenance. – Arianne Mulaire
L’histoire d’Elzéar témoigne de la réalité des Métis dans les années 1870.
« En août 1870, l’expédition militaire de Garnet Joseph Wolseley arrive à Upper Fort Garry. Cette expédition est envoyée par Ottawa pour prendre le contrôle et maintenir la paix à la Rivière-Rouge jusqu’à l’arrivée du lieutenant-gouverneur Archibald. Wolseley et ses miliciens devaient agir comme une force policière et protéger l’Ouest de tout soulèvement futur. Louis Riel et de nombreux membres de son gouvernement provisoire quittent la région par crainte de représailles violentes pour la mort de Thomas Scott. Elzéar choisit de rester à la Rivière-Rouge, un choix qui s’avérera fatal.
Quelques semaines après l’arrivée de l’expédition militaire de Wolseley, le 13 septembre, Elzéar entra au Red Saloon situé à l’angle de l’avenue Portage et de la rue Main, à Winnipeg. Le Red Saloon était un établissement de boissons déchaîné et tapageur dirigé par des frères américains de New York, Bob et Hugh F. O’Lone. Ce saloon était si déchaîné que Bob O’Lone a été tué pendant une bagarre dans un bar, dont il était le propriétaire, peu de temps après la mort d’Elzéar à l’automne 1870.
Hugh O’Lone était membre du gouvernement provisoire de Riel, qui fit du Red Saloon un point d’eau sûr jusqu’à l’arrivée de l’expédition militaire de Wolseley à la Rivière-Rouge. Les soldats de Wolseley étaient stationnés à Upper Fort Garry, à seulement quelques centaines de mètres du Red Saloon. Le Red Saloon devint bientôt la taverne de choix pour les soldats et autres partisans orangistes.
On ne sait pas pourquoi Elzéar Goulet entra au Red Saloon le 13 septembre 1870. Il y entra hardiment au milieu de l’après-midi croyant que c’était le bon moment pour éviter les conflits avec les clients, mais il réalisa trop tard qu’il était entré dans un nid de frelons d’une couvée mortelle d’hommes ivres. Il a été reconnu pour son rôle dans la résistance par John Farquharson, qui avait été prisonnier du gouvernement provisoire. Goulet a été poursuivi sur la rue Post Office, aujourd’hui l’avenue Lombard, par Farquharson et une bande de justiciers dirigée par des agents de l’Ontario Rifles. Au bout de la rue, Elzéar Goulet, désespéré, a plongé dans la rivière Rouge depuis le débarcadère du bateau à vapeur pour tenter de traverser la rivière à la nage afin de se mettre en sécurité à Saint-Boniface. Il a été bombardé de pierres par ses poursuivants et a été frappé à la tête. Inconscient dans les courants boueux de la rivière, il s’est noyé.
De nombreux soldats de l’Ontario Rifles et des volontaires canadiens se joignirent à l’expédition militaire de Wolseley pour se venger de l’exécution de Thomas Scott. Ils ont clairement vu cette situation comme une occasion de le faire. L’attaque de la foule était hors de contrôle. Selon un témoin, Joseph Tennant, qui occupait le poste de clairon avec les Ontario Rifles, a déclaré au cours de l’enquête : « La foule frénétique à sa poursuite a lancé des missiles de toutes sortes sur l’homme traqué et l’a lapidé à mort dans l’eau. »
Elzéar meurt à l’âge de 34 ans et est enterré au cimetière de la cathédrale de Saint-Boniface. Le premier lieutenant-gouverneur du Manitoba, sir Adams George Archibald, nomma deux magistrats de la Compagnie de la Baie d’Hudson pour mener une enquête sur la mort d’Elzéar. Vingt témoins ont été entendus, des mandats d’arrêt contre les poursuivants ont été préparés, mais aucune arrestation n’a été effectuée. Le gouvernement d’Ottawa a laissé toutes les décisions concernant l’issue de l’enquête aux autorités locales, qui étaient clairement partiales ou essayaient simplement d’empêcher la situation de devenir incontrôlable et de faire régner leur pouvoir sur la foule.
Durant cette période, Elzéar n’est pas le seul à être pris pour cible et attaqué par des miliciens. D’autres hommes métis qui faisaient partie du gouvernement provisoire de Riel ont été violemment battus et l’un d’eux a été assassiné par des assaillants non identifiés. À Rivière-Rouge, on croyait généralement qu’il s’agissait d’actes de vengeance pour la mort de Thomas Scott, et comme aucune mesure officielle n’avait été prise pour traduire ces crimes en justice, la loi semblait favoriser ceux qui commettaient ces crimes. Comme de nombreux Métis craignaient pour leur sécurité, plusieurs familles métisses ont déménagé dans des endroits comme le Montana, la Saskatchewan et l’Alberta.
En 1870, après la mort d’Elzéar, le recensement de la Rivière-Rouge indique qu’Hélène Goulet est une Métisse française de vingt-six ans, vivant actuellement à Saint-Boniface, veuve et catholique. Elle avait alors déménagé avec ses six enfants, Alfred, Elise, Albert, Roger, Sara et Elie pour vivre avec sa belle-mère, Josephte Siveright Goulet et son beau-frère de quinze ans, Maxime Goulet à Saint-Boniface.
Les écoles industrielles
Dans le but d’assimiler les personnes autochtones, les missionnaires et le gouvernement avaient élaboré plusieurs tactiques dont celle de la sédentarisation, que l’on peut retracer à la présence de l’Église dans les prairies. Quoique les communautés autochtones n’étaient pas nécessairement nomades, il y avait plusieurs déplacements au courant de l’année pour satisfaire les besoins d’approvisionnement. C’est ainsi que l’éducation a été utilisée, et continue d’être utilisée, comme forme d’assimilation.
Plusieurs membres de l’Église catholique, y compris Mᵍʳ Vital-Justin Grandin et Mᵍʳ Alexandre Taché, ont appuyé et même promu les pensionnats et les écoles industrielles, où plusieurs Métis ont été envoyés.
Un groupe d'élèves d'une école industrielle, 1892, Collection générale de la Société historique de Saint-Boniface
[Le texte suivant a été adapté par Arianne Mulaire avec la permission de la Société historique de Saint-Boniface.]
* * *
Une telle école est l’école industrielle de Saint-Boniface qui a ouvert ses portes en 1890 et fait venir des enfants métis et des Premières Nations de plusieurs communautés. Cette école a été administrée par le diocèse de Saint-Boniface et les Sœurs Grises du Manitoba. En 1890, même si la construction n’est pas terminée, on y loge 21 petites filles placées sous la direction de sœur Clément. En décembre, la construction terminée, l’école est placée sous la direction de l’abbé Arthur Lavigne et recrute aussi 16 garçons.
On rassemble, dans l’école, des enfants provenant des multiples réserves autochtones du Manitoba. On y trouve des enfants de Fort Alexandre (Sagkeeng), Sandy Bay, Peter Ballendine, Beren’s River, Nelson River, Pine Creek, Roseau River, Grassy Narrows, St. Peter’s (Peguis), Brokenhead et même de Wabigoon (Ontario).
École industrielle de Saint-Boniface, [1895], Collection générale de la Société historique de Saint-Boniface
Les enfants métis composent presque la moitié des enfants qui passent par les portes de l’établissement, mais leurs communautés d’origine sont rarement notées. D’après leurs lieux de naissance, plusieurs d’entre eux semblent avoir été recrutés à Saint-Laurent et à Saint-Boniface.
Comme dans les autres écoles industrielles, on enseigne aux élèves les métiers manuels en plus des matières scolaires. Les garçons y apprennent donc la menuiserie, la forge ou la cordonnerie alors que les filles apprennent le travail domestique, à carder la laine, à coudre ou à faire la cuisine. Mais l’intention est surtout de leur imposer un mode de vie agricole. Mgr Langevin, qui devient archevêque de Saint-Boniface en 1894, fonde aussi une fanfare à l’école industrielle. En plus de la musique, les enfants sont initiés au théâtre, à la littérature et au dessin.
En 1896, l’administration de l’école industrielle de Saint-Boniface passe aux mains des Oblats. Les Sœurs Grises continuent cependant d’y œuvrer tandis que les pères Oblats s’occupent de l’administration, du recrutement, de l’enseignement des plus âgés et de la surveillance des garçons.
En 1903, on compte environ 110 élèves. Mais déjà, en 1897, le recrutement des élèves pose un défi aux religieux. Les parents autochtones hésitent à envoyer leurs enfants aussi loin de chez eux. En outre, les élèves s’enfuient, tombent malades, meurent ou s’absentent pendant de longues périodes lorsque leur famille part pour la chasse ou lorsque des parents ont besoin d’eux à la maison. De temps à autre, les parents refusent carrément de renvoyer leurs enfants à l’école.
L’école industrielle de Saint-Boniface ferme donc ses portes en 1905. Au cours de son existence en tant qu’école industrielle, il y eut un total d’environ 300 enfants qui l’ont fréquentée. De ces 300, environ la moitié (126 enfants) sont identifiés comme Métis; et presque un tiers (87 enfants) sont morts à l’école ou peu après leur départ. Selon les documents d’archives, la majorité de ces enfants sont enterrés au cimetière de la cathédrale dans des tombes anonymes.
Texte original : École industrielle de Saint-Boniface (MB), Centre du patrimoine
Le peuple des réserves routières
Le mois dernier, nous avons parlé des tactiques élaborées par les missionnaires et le gouvernement pour assimiler les personnes autochtones, dont la sédentarisation et l’éducation. Une autre tactique que nous présentons maintenant est celle de la dispersion des populations.
Dans l’histoire des Métis, il y a certains éléments méconnus, dont la période des réserves routières qui s’est déroulée de 1900 à 1960 environ. À l’opposé des réserves instaurées par le gouvernement canadien à l’usage des Premières Nations, les réserves dites « routières » étaient des terres publiques destinées à la construction de routes dans les régions rurales et certains endroits peu fertiles. De nombreux Métis, délogés par l’installation des immigrants agriculteurs, ont commencé à s’établir dans ces réserves routières et travaillaient pour les agriculteurs à déboiser et à préparer les champs à l’ensemencement. Ces emplois temporaires étaient peu payés et ne permettaient pas aux travailleurs d’offrir un toit à leur famille. Ils se tournaient donc vers la trappe et la chasse en plus de la cueillette de baies et de racines de sénéca, très prisée, pour suppléer à leurs maigres rations. Ces tentatives des Métis pour améliorer leur sort étaient souvent contrées par des décisions gouvernementales comme celle, en 1939, qui interdisait le trappage et la chasse sans permis ou hors saison, sous peine de payer une forte amende ou de se retrouver en prison.
La famille Trottier, Round Prairie, SK, vers 1920, Atlas des peuples autochtones.
En plus d’occuper des terres publiques destinées à la construction, les Métis ont cultivé des terres peu fertiles et broussailleuses pour fonder de nouvelles communautés. Ainsi, à Richer, Sainte-Geneviève, Saint-Ambroise, Sainte-Amélie, Toutes Aides et Sainte-Madeleine, on arrivait à subsister entre le maigre rendement des fermes, le travail à titre d’ouvrier agricole et la trappe. Le plus important : les Métis y étaient indépendants et autosuffisants.
La pauvreté engendrée par les dures conditions de vie dans les réserves routières a duré jusqu’au milieu du XXᵉ siècle. À cette époque, l’accès à l’éducation était fermé aux Métis, car il fallait payer un impôt foncier pour être en mesure d’envoyer ses enfants à l’école. Durant trois générations, les Métis n’ont donc pu recevoir une éducation de base et cela a contribué à accroître davantage l’écart avec les colons dans une société raciste où ils étaient marginalisés. Malgré tout, plusieurs aînés se souviennent du bon temps passé dans une réserve routière. On y parlait le métchif, les familles étaient « tissées serrées », les aînés enseignaient les traditions aux enfants et l’on pouvait compter les uns sur les autres.
Au moment de la grande dépression, les autorités gouvernementales ont commencé à dissoudre les communautés des réserves routières, forçant ainsi les Métis à quitter leurs camps. Dans le but de créer des pâturages communautaires en région rurale, on a expulsé les familles métisses et brûlé leurs maisons, sans même les indemniser, comme à Sainte-Madeleine. Ne cherchez pas cet endroit sur la carte, il a été complètement effacé. Cet ancien village où vivaient des centaines de Métis était situé au nord de Saint-Lazare près de la frontière saskatchewanaise. À l’automne 1938, on a réduit en cendre les 35 maisons, le magasin et l’école du village. Cette partie de l’histoire est racontée dans une exposition permanente du Musée du Manitoba : Ni KishKishin, je me souviens de Sainte-Madeleine.
Références :
Le peuple des réserves routières, Atlas des peuples autochtones du Canada
Métis story finally being told, in michif, at the Manitoba Museum, Manitoba Museum
'We lost our homes': Museum exhibit tells story of Métis village's displacement, CBC Manitoba
Un passé riche vers un avenir prospère
L’histoire des Métis est vaste et peut être variée. Chose certaine c’est que cette Nation est issue de la traite de fourrures, mais sa culture vient d’un mariage de connaissances des Kokums Cri, Anishinabe, Ojibwe ou Dakota et des Grands-Pères Français, Anglais ou Écossais. Ces relations ont mené à l’évolution de communautés de Métis qui voient le monde d’une différente façon que leurs parents et grands-parents.
Source : Traite de fourrures, Wikipédia
Ces communautés ont concrétisé une culture, une langue, des traditions et ont été transmises de génération en génération. Comme leurs ancêtres des Premières Nations, les Métis ont façonné leurs modes de vie par ce qui les entoure, les prairies, les animaux, les connaissances du territoire ont tous ainsi contribué à cette évolution.
Source : Wikimédia, Domaine public
Au fil du temps, comme les gouvernements se sont installés dans les prairies, les politiques instaurées ont continué à avoir un impact sur la façon dont cette Nation vit aujourd’hui. La quasi-disparition des bisons, le militantisme fédéral, les écoles résidentielles et industrielles et l’expulsion des Métis de leurs terres ont toutes été des méthodes employées pour assimiler les Métis aux populations coloniales. Toutefois, tout comme leurs ancêtres l’ont fait, à la bataille de la Grenouillère ou encore lors de la Résistance de la Rivière-Rouge, les Métis continuent d’affirmer leurs droits territoriaux et leurs modes de vie, y compris leurs traditions et langues.
École industrielle de Saint-Boniface, [1895], Collection générale de la Société historique de Saint-Boniface
La réalité d’un passé où les Métis ont eu à faire face aux affronts à leurs droits, le racisme et les tentatives d'assimilations aux mains des gouvernements concrétisent le fait que depuis déjà longtemps, les gouvernements voient les Métis comme un peuple distinct. Malgré ce passé, les Métis ont su surmonter ces défis et aujourd’hui reprennent le flambeau de la fierté des Métis. Cette fierté culturelle sera la base des prochaines chroniques, où, ensemble, nous pourrons découvrir quelques facettes de la culture des Métis et célébrer leur lidentité unique.
Arianne Mulaire
Union nationale métisse Saint-Joseph du Manitoba
Kosay ta dji?
Dans la formation de la Nation et de la culture Métisse, une nouvelle langue s’est développée, le Mitchif (ou Métchif). Tout comme notre culture, elle s’est façonnée par les communautés qui nous entouraient et donc leurs langues ont eu une grande influence. En terme simple, le Mitchif est composé de français, d’un peu d’anglais et des langues des Premières Nations entourant les régions habitées par les Métis. Comme les langues des Premières Nations sont influencées par leur territoire, il n’est pas surprenant d’apprendre qu’il y a plusieurs dialectes de Mitchif. Les grandes familles comprennent :
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le Mitchif français, qui a un plus grand nombre de mots français;
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le Mitchif du Nord, qui est surtout composé de mots nêhinawêwin (Cri des marais) et de mots français;
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le Mitchif du Sud, semblable au Mitchif du Nord, mais utilisant surtout le nêhiyawêwin (Cri des plaines).
Il y a aussi d’autres dialectes qui incorporent le dënesuliné, la langue des Chipewyan/Dene.
Le bungi (bungee) s’ajoute aux dialectes Mitchif utilisant le gaélique écossais, et nêhiyawêwin. Ce dialecte était surtout parlé au Manitoba.
Bien que souvent, lorsque l’on parle du Mitchif, nous l’associions aux mots utilisés, cette langue a une syntaxe propre à elle-même qui emprunte surtout de la syntaxe et des intonations Cries. Voilà pourquoi le Mitchif est une langue unique et propre au territoire des Métis.
De plus, les ancêtres Métis étaient souvent polyglottes, parlant le Mitchif, le français, l’anglais et une ou deux langues des Premières Nations.
Ipis ojowrdwi?
Pour comprendre les langues parlées par les Métis aujourd’hui, il faut considérer leur histoire et aussi celle des francophones de l’Ouest canadien.
Comme nous l’avons appris plus tôt, les Métis ont été victimes de tentative d’assimilation à une époque où le Canada anglais demeurait la culture dominante. C’est ainsi que plusieurs Métis ont choisi l’anglais comme langue parlée à la maison. Pour plusieurs, c’était un acte de protection afin d’éviter le racisme contre les communautés Autochtones. Il faut se souvenir que plusieurs membres de la Nation avaient une apparence « européenne » et qu’ils pouvaient donc passer inaperçus.
D’autre part, une minorité a maintenu le français comme langue parlée, entre autres à cause de l’influence de l'Église catholique qui était majoritairement francophone dans les régions à population plus dense, comme celle du sud-est du Manitoba.
Plusieurs Métis qui parlaient aussi le Mitchif ont eu à choisir le français ou l’anglais comme langue parlée à l’extérieur de la famille. Étant donné les ressemblances entre le Mitchif et le français, plusieurs se sont fait dire qu’ils ne parlaient pas le « bon français », ce qui a aliéné encore plus de Métis au français et les a ainsi menés à parler anglais.
Il n’est donc pas surprenant que l’anglais soit aujourd’hui la langue dominante, suivie du français et des langues Autochtones, dont le Mitchif, le Cri, l’Ojibway, le Déné et autres. Incidemment, ce sont souvent des Métis qui ont revendiqué les droits francophones du Manitoba.
Il y a plusieurs efforts de revitalisation du Mitchif qui font preuve de succès étant donné l’augmentation des personnes qui ont identifié le Mitchif parmi les langues qu’ils connaissent.