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Présentation

C’est vraiment sur un coup de tête qu’une décennie plus tôt je suis parti enseigner le français à Chengdu, dans le sud-ouest de la Chine, dans la province du Sichuan, fier pays des pandas, des maisons de thé et des plats épicés. L’époque n’était pas tendre pour les diplômés des études supérieures qui rêvaient d’une carrière universitaire. En l’absence de débouchés, ceux-ci devaient le plus souvent vivoter entre plusieurs emplois pour pouvoir gagner décemment leur vie dans l’attente du grand jour où ils verraient enfin l’enceinte universitaire leur entrouvrir ses portes.

 

C’est un jour, complètement par hasard, en explorant le site Web de l’ambassade de France en Chine qui affichait d’innombrables postes en enseignement du français à tous les niveaux (primaire, secondaire et universitaire) que me vint l’idée de tenter ma chance en Extrême-Orient. Ma décision était motivée uniquement par des choix socioprofessionnels, car j’ai bien honte de le confesser aujourd’hui j’étais ce que l’on pouvait appeler un indécrottable eurocentriste fasciné presque uniquement par l’histoire européenne et nord-américaine et je n’avais jamais vraiment songé à me rendre en Asie même à des fins touristiques. J’allais donc en Chine avec la conviction que je pourrais acquérir l’expérience qui me manquait cruellement et revenir un an plus tard, armé cette fois-ci d’une année formatrice dans l’Empire du Milieu (Chine), pour conquérir enfin le marché de l’emploi universitaire.

 

Je fus en fait pris à mon propre piège et entraîné malgré moi dans une folle aventure à titre de professeur de langue française itinérant d’abord dans l’Empire du Milieu, puis dans l’Empire du Soleil levant (Japon). Dès mon arrivée à Chengdu, le département d’études françaises me confia la tâche titanesque d’enseigner à mes étudiants chinois l’histoire, la littérature, la culture et le cinéma francophones. Je m’acquittais de cette nouvelle mission avec passion, enthousiasme et dévouement, car je considérais que le plus grand privilège que l’on puisse accorder à un professeur était de témoigner de sa culture et de la partager avec ses étudiants dans un pays étranger.

 

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Prenant très au sérieux mon nouveau rôle d’ambassadeur de la Francophonie à Chengdu, j’ouvris dans un salon de thé un club où un public féru de culture et de cinéma venait visionner des films francophones et débattre des enjeux de la société portés à l’écran. De plus, je n’hésitais pas à parcourir de grandes distances pour faire connaître la culture francophone. Ainsi, l’un des moments les plus épiques fut lorsque j’ai participé au Festival du maïs de Zhonglu, dans un village tibétain du Sichuan au pied de l’Himalaya pour livrer une conférence exclusive sur l’authentique histoire du pâté chinois.

 

Il s’agit d’une période où j’ai dû complètement me réinventer en délaissant ma formation d’historien pour devenir professeur de littérature de la Francophonie. Je me suis servi de mes classes comme d’une tribune pour faire connaître les grands classiques littéraires du Canada français, des Antilles, du Vietnam, du Maghreb et de l’Afrique subsaharienne. Aujourd’hui, c’est avec beaucoup de fierté que je peux témoigner du grand succès obtenu par La petite poule d’eau de Gabrielle Roy auprès de mes étudiants qui leur a révélé une littérature nord-américaine de langue française, dont l’écriture était à la fois sobre et élégante.

 

La pandémie a mis fin brutalement à mes pérégrinations dans l’Empire du Milieu. En effet, la Chine ferma ses frontières, alors que je passais mes vacances au Cambodge et en Malaisie. Que cela ne tienne! Incapable de retourner dans l’Empire du Milieu, je réussis à trouver un emploi dans l’Empire du Soleil levant où je pus continuer à œuvrer à titre d’ambassadeur de la Francophonie à travers mon enseignement et mes conférences.

 

On ne passe pas dix ans dans plusieurs pays étrangers sans être profondément transformé culturellement et développer ainsi une dualité identitaire surtout quand l’on a eu le privilège d’y vivre au quotidien et d’y nouer des relations d’amitié et de travail. Bien que je sois très heureux d’être revenu au pays et d’être en terrain de connaissance et de reconnaissance, je ressens encore et toujours le besoin de jouer ce rôle d’intermédiaire culturel qui m’avait valu mes plus belles heures de gloire en Extrême-Orient. Cette fois-ci, j’aimerais faire l’inverse en témoignant et en partageant mes expériences de voyage et d’enseignement en Asie avec un public francophone dont celui du Manitoba. C’est donc sans hésiter que j’ai accepté cette collaboration avec le magazine Le Nénuphar. Cette chronique sera aussi l’occasion de présenter les œuvres littéraires et cinématographiques que j’ai enseignées dans mes classes et qui ont enchanté et émerveillé mes étudiants chinois et japonais. Ces œuvres ont réussi à plaire, émouvoir, passionner, ainsi que faire rire et pleurer, des cohortes d’étudiants chinois et japonais qui s’y sont reconnus révélant ainsi que les cultures du monde, en dépit des différences en apparence infranchissables, entretiennent des liens de convergence insoupçonnés.

 

Plus que tout, j’aimerais apporter bien modestement avec cette chronique ma contribution pour faire reculer les préjugés, stéréotypes ou idées reçues qui règnent trop souvent sur l’Asie. En effet, ceux-ci sont véhiculés parfois par certains médias souvent en quête de sensationnalisme qui érigent en normes culturelles et sociales absolues certaines pratiques marginales qui renforcent nos certitudes bien établies. Ces pratiques, pourtant moins répandues dans le tissu social que l’on pourrait le croire, restent séduisantes et plaisent davantage en raison de leur étrangeté par rapport à nos croyances, nos valeurs ou notre mode de vie qu’une réalité moins exotique et surtout moins excentrique qui nous ressemble.

 

J'ai donc le grand plaisir de renouer avec mes souvenirs du passé et de les partager avec vous au cours de cette chronique, chers lecteurs du magazine Le Nénuphar, afin de témoigner à la fois de la diversité des sociétés à travers le monde et en même temps de la convergence de leurs expériences historiques, sociales et culturelles.

 

Merci!

 

Jean-Philippe Croteau

Professionnel enseignant (histoire)

Université de Saint-Boniface

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