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Harbin, un royaume russe au cœur
de la Chine septentrionale

Il y a quelques semaines j’ai eu le plaisir de découvrir le fameux Festival du Voyageur qui célèbre avec beaucoup de joie de vivre l’héritage canadien-français, métis et autochtone du Manitoba. Je n’ai pas pu m’empêcher de repenser à mes merveilleux souvenirs passés à Harbin, dans la province du Heilongjiang, au nord de la Chine, où se tient le festival de sculptures sur glace et de neige qui accueille entre 10 et 15 millions de visiteurs par année!

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Mais Harbin, c’est beaucoup plus qu’un festival (même si c’est l’un des plus grands au monde). Se retrouver à Harbin pendant les mois de janvier et de février, c’est partir à la découverte de la nordicité chinoise qui est plutôt mal connue. En effet, les images pittoresques que les médias présentent de la Chine représentent plutôt le sud du pays avec ses paysans au chapeau à forme conique qui cultivent les rizières avec l’aide de leurs buffles domestiqués pour les travaux de la ferme dans un décor champêtre magnifique de montagnes karstiques. Pourtant, à bien des égards, la Chine est un pays nordique au même titre que le Canada. Le Canadien s’y sent d’ailleurs chez lui où il reconnaît les mêmes comportements, loisirs et habitudes de vie que dans son pays. Les Harbinois sont friands du hockey, du patin à glace et même du curling. D’ailleurs, le premier réflexe des habitants de Harbin lorsqu’ils rencontrent un Canadien est de lui faire une prestation de leur dextérité et de leur rapidité sur la glace pour lui rappeler, le cœur rempli de fierté, que les Chinois eux aussi sont de grands patineurs.

Harbin, c’est aussi une ville à l’histoire insoupçonnée. D’abord simple village de pêcheur, Harbin devient la plaque tournante des intérêts financiers et commerciaux de la Russie qui entreprend la construction d’un chemin de fer en Extrême-Orient qui se voulait le prolongement du Transsibérien. Fondée en 1898, Harbin constituait une ville européenne au cœur de l’Empire impérial chinois. En 1913, on y retrouvait 53 nationalités différentes qui parlaient 45 langues et professaient plusieurs religions. Il va sans dire que le groupe le plus important était les Russes qui constituaient la majorité de la population, mais il y avait aussi des Polonais, des Allemands, des Ukrainiens, des Baltes et des Scandinaves. Ce sont toutefois les Russes qui façonnèrent la cité à leur image et lui donnèrent ce cachet slave qui existe encore aujourd’hui (photo 2). Il suffit pour s’en convaincre d’admirer la cathédrale Sainte-Sophie qui surplombe la grande place où se bousculent les badauds pour admirer ce monument religieux qui témoigne du passé russe de la ville (photo 3). Il faut saluer le grand courage des Harbinois tout particulièrement des Harbinoises qui posent devant la cathédrale, sourire aux lèvres et les épaules dénudées dans leur robe de jeune mariée sous une température pouvant aller jusqu’à -38 degrés Celsius (immortaliser le Grand Jour nécessite quelques sacrifices…). Une promenade sur l’avenue Zhongyang donne une impression de déjà-vu avec tous ces bâtiments qui ressemblent en tout point au patrimoine architectural de Saint-Pétersbourg (photo 4). Les racines russes de la ville sont un prétexte inespéré pour les commerçants de vendre des babioles comme des bouteilles de vodka, des poupées russes, des chapeaux à fourrures soviétiques, des affiches léninistes et même des copies frauduleuses d’œufs de Fabergé… en bois (photo 5)! Avis à ceux qui souhaitent s’initier à la culture chinoise traditionnelle, Harbin n’est pas le bon endroit. Ici, c’est la culture russe qui est à l’honneur. Que les touristes se le tiennent pour dit! Une des attractions les plus intéressantes est la synagogue de Harbin (aujourd’hui un musée) qui est splendide et qui rappelle aux touristes que c’est dans cette ville qu’il y avait dans les années 1920 la plus importante communauté juive d’Asie – près de 20 000 âmes. Ces derniers avaient fui l’autoritarisme du tsar, la législation discriminatoire, les mesures répressives et bien souvent les pogroms pour trouver à Harbin un havre de paix et de tolérance.
 

Photo 2

Photo 3

Photo : Jean-Philippe Croteau

Photo 4

Photo : Jean-Philippe Croteau

Photo 5

Toutefois, l’attraction principale de Harbin reste sans conteste le Festival de glace et de neige. La Chine n’a jamais eu peur du gigantisme. Au contraire, elle en a fait sa marque de commerce et le festival de Harbin n’échappe pas à cette règle. Plus qu’une grande fête de l’hiver, le festival de Harbin est un hommage à la capacité de l’humain d’apprivoiser les rigueurs de l’hiver et même de développer un ingénieux savoir-faire. Ainsi, chaque année, près de 10 000 artistes et ouvriers aménagent dans un immense parc conçu pour l’événement (80 hectares) des centaines de statues de glace, dont certaines dépassent plus de 40 mètres de hauteur. Les artistes extraient de la rivière Songhua de gros blocs de glace à partir desquels ils puisent leur imagination pour représenter les grands thèmes de l’histoire, de la mythologie et de la culture chinoise n’hésitant pas à reproduire les grands monuments de Chine connus dans le monde entier comme le palais de la Cité interdite, la muraille de Chine et le temple du Ciel. En fait, l’inspiration et l’habileté créatrices de ces artisans sont inépuisables comme en fait foi une réplique des chutes du Niagara qui mesure 250 mètres de long et 8 mètres de haut et qui a nécessité l’emploi de 13 000 mètres cubes de glace. Cet exploit artistique a permis au festival de Harbin de voir apparaître son nom dans le Livre Guinness des records. L’expérience ultime demeure de déambuler à la tombée de la nuit entre ces innombrables statues illuminées qui créent une atmosphère complètement féérique. Il y en a tellement qu’il est impossible d’en venir à bout en une soirée, voire même une demi-journée. C’est plutôt le froid et la fatigue qui forcent le visiteur à s’avouer vaincu et à rebrousser chemin vers son hôtel (photo 6 et 7).

Photo 6

Photo 7

Photo : Jean-Philippe Croteau

Aujourd’hui, il ne reste que les églises, les immeubles, les boutiques de souvenir, ainsi que quelques cafés et restaurants qui perpétuent le souvenir de l’ancienne Russie dans les rues de Harbin. La présence russe s’est littéralement volatilisée à partir de la Seconde Guerre mondiale. Certains de ses habitants sont retournés en Union soviétique (ou ont été carrément rapatriés de force par le régime stalinien), tandis que d’autres ont fui à l’étranger. Il ne resterait que dix Russes à Harbin à l’heure actuelle, comparativement à plus de 200 000 un siècle plus tôt. 

Ainsi va l’histoire. Les humains viennent au gré de leurs pérégrinations, élisent domicile et s’enracinent dans un lieu porteur de rêve et d’espoir et parfois repartent vers d’autres cieux plus cléments frappés par la fatalité de l’histoire ou tout simplement à la recherche de lendemains plus prometteurs en laissant des traces vivantes de leur passage. Des traces qui aujourd’hui remplissent de fierté les Harbinois qui, grâce à une lointaine présence russe aujourd’hui disparue, sentent que leur ville est un cas d’espèce en Chine et que son héritage historique et multiculturel mérite d’être célébré (photo 8).


 

Photo 8

Photo : Jean-Philippe Croteau

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