top of page
entête.png

La tour, un milieu unique

[Ce texte est une version abrégée d’un extrait de la Prise 6 de l’ouvrage
Depuis les plaines jusqu’aux sommets des Rocheuses de Denis Gravel.]

01.jpg

André a toujours nourri une profonde affection pour l’escalade, la randonnée et la montagne. Il a aussi partagé une grande partie de sa vie sociale entre le mur et la tour d’escalade. Où se trouvait-il les mardis et vendredis soir, ou encore les fins de semaine pendant la saison d’escalade, qu’elle soit sur glace ou en salle? À Saint-Boniface, bien sûr, sur le mur ou la tour. Cet engagement sans faille a exigé de lui et de sa famille de nombreux sacrifices.

 

Avec des moyens modestes, le Club d’escalade de Saint-Boniface a su bâtir une infrastructure remarquable — souvent sous-estimée par la collectivité, mais profondément appréciée par la communauté de grimpeurs. Rien de tout cela n’aurait été possible sans l’aide indispensable de nombreux bénévoles. Leur dévouement et leur passion ont permis d’offrir des formations et des séances d’escalade pour les jeunes comme pour les adultes. Grâce à eux, le club a pu multiplier ses activités, entretenir ses installations et tisser une véritable communauté autour de l’escalade. 

 

02.jpg

Conférence internationale des villes d’hiver

 

En 1992, à Montréal, Winnipeg apprend qu’elle sera l’hôte de la 7ᵉ Conférence internationale des villes d’hiver, prévue pour 1996. Pour relever ce défi, la ville doit proposer des activités à la hauteur de l’événement. Plusieurs groupes communautaires se mobilisent, notamment le Festival du Voyageur, qui collabore avec l’architecte francophone Étienne Gaboury pour concevoir une glissade géante dans le parc Whittier.

 

Depuis quelques hivers déjà, avec l’appui de Mountain Equipment Co-op (MEC), nous construisions une tour de glace d’environ vingt pieds à l’entrée du site du Festival du Voyageur.

 

À l’automne 1995, les journaux commencent à évoquer la venue prochaine des maires à la conférence. Le projet de glissade géante refait surface, et André et moi décidons de profiter de cette occasion pour rencontrer M. Gaboury et lui présenter une idée audacieuse : construire une tour d’escalade au cœur de Winnipeg. Séduit, M. Gaboury réalise des croquis détaillés du projet pour le Club d’escalade de Saint-Boniface. 

En janvier 1996, la Ville de Winnipeg accorde une subvention de 50 000 $ pour la construction d’une glissade de 100 mètres, prévue à temps pour la conférence, qui coïncidera avec le Festival du Voyageur. Le journal La Liberté rapporte qu’Étienne Gaboury pourrait aussi ériger un mur d’escalade recouvert de glace, sous la supervision d’André Mahé. Gaboury confie alors :

 

« Ce serait assez facile à réaliser. On n’a besoin que de quatre poteaux de Manitoba Hydro… »

 

Pendant ce temps, André entame des démarches pour obtenir un emplacement permanent pour la future tour de glace. Grâce à l’appui de M. Gaboury, Manitoba Hydro fournit trois poteaux géants de 70 pieds, livrés et installés en février 1996 près de la rivière Rouge, à l’ouest du parc Whittier. La ville impose toutefois certaines conditions : souscrire une assurance et construire une clôture dès que possible. 

03.jpg

Une fois de plus, « les étoiles étaient alignées ».

 

Je me souviens avoir lancé : « C’est haut en bébitte! » en voyant ces trois poteaux dressés vers le ciel, avec les tours du centre-ville en arrière-plan. Pour André et moi, l’exaltation était à son comble : nous avions l’impression d’avoir conquis notre propre Everest. Mais le vrai travail ne faisait que commencer… Il nous faudra encore quinze ans pour terminer l’installation du revêtement de la tour.

04.jpg

Construire un étage à la fois

 

Dès le départ, la construction représentait un défi colossal. La structure triangulaire exigeait des mesures d’une grande précision et beaucoup d’ingéniosité. Nous avons utilisé nos propres équipements d’escalade, des échelles et un vieux treuil trouvé au bord d’une route. Les revenus générés par les séances d’escalade à l’école servaient à financer les matériaux de construction.

De nombreux bénévoles ont contribué à ce projet : conception de pièces métalliques, installation électrique, entretien du site… Chaque coup de main a compté. Je me souviens aussi des premiers arrosages hivernaux, effectués grâce à des tuyaux usagés fournis par une caserne de pompiers. Pendant les journées glaciales, nous passions des heures à arroser; le vent nous transformait littéralement en statues de glace.

À l’époque, peu de gens possédaient l’équipement nécessaire pour grimper sur des surfaces glacées. Toujours soucieux de partager sa passion, André avait déniché des bottes de ski alpin usagées dans toutes les tailles, afin que chacun puisse s’essayer à l’escalade. Chaque fin de semaine, sa vieille familiale débordait de cordes, de piolets et de crampons : il aurait pu passer pour un vendeur ambulant! Quelques années plus tard, l’achat d’une roulotte de chantier a permis d’entreposer le matériel et de se réchauffer pendant les grands froids.

 

Après l’autorisation de la Ville pour raccorder la tour au réseau d’aqueduc, nous avons perfectionné nos techniques d’arrosage. Les printemps demeuraient cependant périlleux : les morceaux de glace détachés perçaient la clôture et endommageaient la structure. André a réglé le problème en demandant l’agrandissement de la zone clôturée. Mais quand le matériel nécessaire fut livré, il disparut mystérieusement avant les travaux — une des nombreuses mésaventures vécues à la tour!

Une longue construction

 

Visible depuis la rive opposée, la tour attirait la curiosité des passants. Certains critiquaient son apparence, mais elle fait aujourd’hui partie intégrante du paysage urbain. Cette « montagne en ville » de vingt mètres de haut est devenue la plus haute tour d’escalade extérieure permanente au Canada.

 

Grâce à elle, le Club d’escalade de Saint-Boniface a initié des centaines de personnes à l’escalade sur glace et sur roche, offert des formations aux élèves du secondaire et du postsecondaire, organisé des compétitions et même des stages de préparation à l’alpinisme. Les grimpeurs novices peuvent y louer tout le matériel nécessaire pour s’initier en toute sécurité.

Aujourd’hui, la tour, installée le long de la rivière Rouge dans le parc Whittier, est utilisée toute l’année : recouverte de glace de décembre à mars, équipée de prises de mai à octobre. Une piste cyclable longe son flanc nord et le site s’illumine les soirs d’escalade.


Après trente ans, tous les membres dévoués du club, y compris André et moi, sommes fiers d’avoir contribué à créer une communauté francophone passionnée et durable.


Une fois encore, les étoiles étaient alignées.

Piliers de la communauté

 

Certains événements ne prennent tout leur sens qu’avec le recul. Si nous avions eu quatre poteaux au lieu de trois, la construction aurait sans doute été plus simple. Mais ces trois piliers symbolisent aujourd’hui l’essence même du Club d’escalade de Saint-Boniface et de ses fondateurs.

 

Le premier pilier représente les installations : le mur et la tour, espaces de pratique partagés.
Le deuxième, la communauté des grimpeurs, un groupe d’hommes et de femmes unis par la confiance, l’entraide et l’amitié.
Le troisième, la passion commune : l’amour de l’escalade, des montagnes et de la nature.

 

La création du club visait avant tout à promouvoir l’escalade en français. Puissent les générations futures préserver cet héritage.


C’est grâce à la passion des frères Mahé que nous pouvons aujourd’hui raconter cette histoire et constater la vitalité d’une communauté franco-manitobaine d’amateurs de montagne.

 

Pendant trente ans, André Mahé a fait rayonner, en français, l’escalade au Manitoba et ailleurs au Canada. En 2006, le Club d’escalade de Saint-Boniface, la section Manitoba et le Club alpin du Canada lui ont rendu hommage en baptisant la tour du parc Whittier : Tour André Mahé.


Et quiconque atteint son sommet ne peut qu’être émerveillé par la vue de Saint-Boniface, avec en toile de fond le centre-ville de Winnipeg.

Concours pour gagner le livre de Denis Gravel
Depuis les plaines jusqu’aux sommets des Rocheuses

Quel est le nom de la tour du parc Whittier? (trois mots)

 

Envoyez votre réponse à editeur@magazinelenenuphar.com
avant le 3 décembre à minuit pour faire partie du tirage. 

Liste de tous les articles de.jpg
bottom of page