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Odile a besoin d’aide

Affalée sur son canapé, Cécile attend que sa tisane à la menthe refroidisse en regardant distraitement un épisode de 5ᵉ rang. Sa tarte passe mal. Elle s’en veut d’avoir laissé ses émotions l’emporter sur sa raison. Malgré l’amour qu’elle vouait à sa mère, elle s’est juré de ne jamais finir comme elle. Elle ne peut pas comprendre l’intensité des sentiments qu’éprouvaient ses parents l’un envers l’autre. Elle n’a jamais été attirée par un être de cette façon et a toujours été plutôt rationnelle. Ou l’est-elle devenue malgré elle?


Un léger tapement interrompt ses réflexions. Elle soulève la tête, tend l’oreille, coupe le son du téléviseur. Rien. Elle s’assoit, empoigne sa tasse et humecte ses lèvres de tisane toujours trop chaude. Elle repose sa tasse sur la table à café et s’apprête à rétablir le son quand le tapement reprend, un peu plus fort cette fois. Odile se dirige vers la porte, regarde par le judas et aperçoit Odile.

 

  Bonjour Odile.
  Bonjour Cécile. Je suis désolée de te déranger, mais j’ai échappé ma clé et j’arrive pas à la récupérer. Pourrais-tu m’aider?
  C’est sûr.


Cécile se dirige vers la porte d’Odile, ramasse sa clé et la lui tend. Odile se dirige vers sa porte, puis procède à insérer sa clé dans la serrure avec difficulté.

 

  As-tu besoin d’aide?
  Merci, pas pour l’instant, mais va pas trop loin, au cas où je l’échapperais encore.
  OK…
  Je devrais me l’attacher autour du cou.
  Ce serait pas une mauvaise idée.


Odile réussit enfin à ouvrir sa porte, la franchit, puis se retourne vers Cécile.

 

  As-tu le temps d’entrer pour jaser un peu?
  C’est sûr. Je me suis préparé une tisane. Je vais aller la chercher.


Cécile s’empresse de récupérer sa tasse et de retourner chez Odile.

 

  C’est gentil de m’inviter. Je ne connais pas beaucoup de monde ici.
  Tu habitais où avant?
  À Sainte-Rose-du-Lac-à-la-tortue.
  C’est loin d’ici?
  Une couple d’heures en auto. Une couple de semaines à dos de tortue.


Odile sourit.

 

  As-tu de la famille ici?
  Non. Mes sept frères et sœurs habitent tous au village, avec mon grand-père. Le plus vieux va peut-être venir vivre avec moi l’an prochain.
  Ah! Ce serait bien.
  Oui. Je m’ennuie de ma famille. Ça aiderait un peu.
–   Es-tu quand même contente d’être venue vivre en ville?
–   Tu sais, il se passe pas grand-chose à Sainte-Rose. Après qu’on a vendu la ferme, je suis restée au village avec mon grand-père jusqu’à ce que mon plus jeune frère soit assez grand pour se rendre à l’école tout seul, puis je suis partie. J’avais besoin d’air. Les plus vieux ont pris la relève.
–   Tes parents…
–   Ils sont morts. Un accident de la route. Mon père est mort sur le coup. Ma mère, deux ans plus tard.
–   Ouf. Ça a pas dû être facile.
  C’est sûr. Surtout au début. Ma mère avait perdu l’usage de ses jambes. On a bûché pas mal les premiers mois, puis mon grand-père est revenu vivre sur la ferme. Ça a tout changé. Ça a pas été facile pour lui de recommencer à travailler, surtout sans son fils. Mais c’est ça la vie. Tout le monde a ses épreuves. T’es bien placée pour le savoir.


Odile sourit.

  C’est vrai. On a tous notre lot. Pour certains, c’est plus évident que pour d’autres. Moi, j’ai la dystrophie musculaire. Mes muscles perdent tranquillement de leur force. J’ai pas toujours été dans un fauteuil roulant. J’ai marché, couru, dansé, joué du piano, de la batterie aussi. Aujourd’hui, j’arrive même plus à chanter tant j’ai faibli. J’ai besoin d’aide pour presque tout faire.

 

Cécile est sans mots. Des milliers de questions se bousculent dans sa tête : Comment on se sent quand on sait qu’un jour on ne pourra plus faire les choses qu’on aime? Est-ce que ça fait mal d’être toujours assis? Est-ce qu’elle peut se tourner dans son lit? Comment est-ce qu’elle fait pour accepter sa situation? Est-ce qu’il lui reste des ambitions? 


Elle n’ose en poser aucune.

 

  Je suis pas allée à ta fête parce que ça me gêne d’être avec du monde que je connais pas. Puis aussi, je suis plus capable de manger par moi-même et j’utilise une paille pour boire. J’avais pensé inviter une amie, mais je savais pas si ce serait correct et j’ai pas osé demander.


Cécile se sent stupide. Elle aurait dû écrire sur la carte d’invitation qu’on pouvait venir accompagné.

 

  C’est de ma faute. J’aurais dû préciser qu’on pouvait venir accompagné. J’ai pas l’habitude de recevoir en ville.
  Je comprends. C’est pas grave. L’important c’est qu’on ait enfin l’occasion de se parler.

 

À ce moment précis, le bruit d’une clé introduite dans la serrure de la porte d’entrée se fait entendre.

 

  C’est Alex. Elle vient m’aider à préparer à souper.
  Ah bon. Eh bien, je vais y aller. Tu me fais signe si t’as besoin de quoi que ce soit, ou de jaser, ou de sortir. Je suis libre pas mal tous les soirs et la fin de semaine.
  Super! Je vais t’appeler.
  Merci pour la tisane!
  Ça m’a fait plaisir, répond Odile en se secouant la tête.
  Bonne soirée!
  À toi aussi.


Cécile rentre chez elle, dépose sa tasse sur le comptoir, puis ressort aussitôt et se dirige vers l’ascenseur, mais choisit finalement de prendre l’escalier.


Elle a besoin de bouger. Comme il fait déjà trop noir dehors pour sortir seule, elle se rend à la petite salle de conditionnement physique aménagée au rez-de-chaussée. L’endroit est vide. Elle examine une ou deux machines, en lit rapidement les instructions, monte sur un tapis roulant, réussit à le faire démarrer, y fait une vingtaine de pas, réussit à le faire arrêter, puis en redescend.

 

  Non merci. Très peu pour moi.


Elle quitte la salle, puis s’arrête devant le babillard dédié aux messages des résidents de l’immeuble.

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***

Le but de cette chronique est de vous faire découvrir ce qui se passe derrière la porte de différentes personnes handicapées et de vous appeler à l’ouverture et à la solidarité. Cécile frappe à votre porte pour vous inviter à commenter ou à témoigner de vos expériences de vie en tant que personne handicapée ou non. Allez-vous ouvrir?

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