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Histoire d’Hérodote : le retour aux sources

Il y a environ une vingtaine d’années, j’avais fait le tour de l’Espagne. Rendu tout au sud, l’envie m’avait pris de traverser la Méditerranée et de visiter le Maroc. Je pris donc un traversier à Algeciras (Espagne) à destination de Tanger au Maroc. Quelle ne fut pas ma surprise, accoudé au bastingage, d’observer à l’horizon les formes blanches de la Casbah de Tanger qui contrastaient avec le ciel azur. J’avais vraiment quitté la civilisation ibérique pour entrer dans celle du Maghreb. Dès lors, ma seule préoccupation était de connaître à nouveau cette sensation merveilleuse en visitant un nouveau pays qui m’offrirait le même choc culturel.

Dans mon esprit, le pays qui pouvait m’offrir le mieux ce choc culturel, dont j’étais si friand, était l’Empire du Soleil levant (communément appelé le Japon). Pour rendre cette odyssée encore plus grandiose, je me fis accompagner d'une œuvre mémorable, Histoires (intitulé parfois aussi L’enquête), rédigée au 5e siècle avant Jésus-Christ par celui qui est considéré comme le père des historiens : Hérodote (Photos 1 et 2). Celui-ci est né à Halicarnasse dans l’actuelle Turquie. Il est contraint à l’exil avec toute sa famille en raison des activités politiques de son père qui déplurent au tyran de Naxos, Lygdamis. C’est au cours de ces années d’errance qu’il consigna par écrit ses observations dans les nombreuses contrées qu’il visita (la photo 3 montre le monde imaginé par Hérodote) avant de finir ses jours à Athènes, sa cité d’adoption.

Photo 1

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Photo 2 

Photo 3 

Le but de cet ouvrage pour Hérodote est de rappeler à ses contemporains les actions des hommes pour qu’ils ne tombent pas dans l’oubli, ainsi que les exploits tant des Grecs que des « barbares ». Enfin, il cherche à expliquer les causes des conflits, notamment les guerres médiques qui opposèrent les Grecs et l’Empire perse. En effet, à l’époque d’Hérodote, les Grecs considéraient que ceux qui n’étaient pas de descendance et de culture grecque étaient des barbares – il faut comprendre de rang inférieur. Toutefois, malgré cette distinction, Hérodote ne fait pas de jugement de valeur, mais cherche plutôt à relater de manière objective l’histoire récente des peuples qu’il rencontre peu importe qu’ils soient Grecs ou autres.

En fait, Hérodote était beaucoup plus qu'un historien. Il fut tout : géographe, anthropologue, historien, politologue. Mémorialiste conviendrait mieux pour le définir. Il nous invite dans un monde si près et si loin de nous. Si loin, car c'est le monde connu des Grecs, tel que les Grecs le voyaient avec des civilisations qui n'existent plus aujourd'hui (les Scythes, les Mèdes, les Babyloniens, les Phéniciens, les Perses, etc.). Si près, car sous sa plume et ses talents de conteur on assiste à la naissance, au déclin et à la chute de civilisations qui ont laissé de profondes traces dans notre culture et qui nous ont légué un héritage toujours vivant aujourd'hui. Ainsi, on y apprend d’où vient l’expression « riche comme Crésus » qui fait référence au dernier roi de Lydie, dont la richesse était colossale pour l’époque. Vaincu par le roi des Perses, Cyrus, Crésus fut condamné au bûcher avant d’être gracié par son vainqueur qui, clément, en fit son conseiller (photo 4).

Photo 4

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Hérodote était d'abord un voyageur, mais aussi un anthropologue qui raconte au cours de ces périples les peuples qu'il rencontre, leurs coutumes et leurs traditions, les paysages, les ressources naturelles, les villes. Il est aussi historien, car il tente de reconstituer les faits du passé avec les rares sources historiques à sa disposition, ce qui l'amène à recueillir des témoignages oraux. Ce qui n'était pas une chose aisée, car bon nombre de ces témoignages référaient à des mythes et des légendes que l'on tenait pour vrai. En bon historien, Hérodote n'hésitait pas à offrir à ses lecteurs les deux versions - la mythique et la réaliste - afin qu'ils puissent choisir l'interprétation de leur choix. À ce titre, en collectant des témoignages et différentes versions du récit, on pourrait dire qu’Hérodote a aussi inventé le journalisme d’enquête.

Pourtant, Hérodote ne cherche pas à reconstituer la vérité comme le feront les historiens subséquents. Pour lui, la vérité, c’est plutôt de rapporter les croyances et les convictions des témoins et des acteurs sans prendre position sur la véracité des faits qu’ils présentent. Cette façon de travailler lui a valu de nombreuses critiques par les historiens allemands de la fin du 19e siècle qui voulurent le priver de son titre de père de l’Histoire lui préférant Thucydide, auteur de La guerre du Péloponnèse, qui ne s’intéressait qu’aux faits vérifiés et vérifiables. Toutefois, quand on y pense bien, l’œuvre d’Hérodote reflète davantage la réalité de ses contemporains qui ne concevaient pas le déroulement de l’histoire uniquement comme le résultat des actions posées par les humains, mais que celles-ci pouvaient être façonnées par l’influence bienveillante ou malveillante des Dieux. Ainsi, Hérodote relate les discussions au conseil du grand roi Xerxès (surnom donné au roi des Perses) lors des guerres médiques, alors que celui-ci raconte le rêve qu’il a fait la veille. Son plus sage conseiller l’implore de ne pas mener l’attaque navale contre les Grecs, car son rêve est de mauvais augure et constitue un avertissement des Dieux. Trop pressé de vaincre et sûr de ses forces militaires supérieures en nombre, le grand roi fait fi de l’avis de son conseiller et ordonne à sa flotte de combattre celle des Grecs. C’est une cuisante défaite pour les Perses qui sont vaincus à la célèbre bataille de Salamine (photo 5). Hérodote reconstitue les faits historiques avérés, mais n’hésite pas à donner la parole aux oracles et aux devins rappelant que pour les Grecs et les autres peuples, le monde des humains et celui des Dieux étaient en constante interaction. 

Photo 5

Voyager avec Hérodote, c'est plonger dans les sources de notre civilisation. Une civilisation qui s'étendait bien au-delà de l'Europe et qui fait partie de notre imaginaire, et surtout, qui résulte d'un incroyable brassage de population, de cultures et de mémoires à travers les siècles. En effet, Hérodote a voyagé en Afrique, en Grèce, en Turquie, sur les bords de la mer Noire, au Levant, en Mésopotamie. Ses talents de conteur font revivre sous nos yeux cette histoire antique comme si elle prenait la forme d'un immense documentaire de voyage. Je crois que le voyageur qui prend ce livre avec lui dans son périple ne pourra qu'être en fusion avec l'auteur et son récit, et se sentir pendant un bref moment de modestie à l'égal d’Hérodote. De se sentir à la fois voyageur et observateur d'un monde en mouvement. Mais plus que tout, pour les amoureux d'histoire, lire l’œuvre d’Hérodote, c'est d'avoir l'impression d'avoir assisté au réveil de l'humanité ou du moins d'une partie de l'humanité et de la retrouver 2500 ans plus tard, certes, très différente, mais en même temps très familière.

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