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L’attentat de Yasmina Khadra :
expliquer la poudrière du Moyen-Orient par le roman

À l’heure actuelle, un cessez-le-feu entre le Hamas et les forces armées israéliennes semble sur le point d’être signé mettant fin à la guerre terrifiante dans la bande de Gaza que plusieurs considèrent comme un génocide perpétré par l’État hébreu. Or, à distance, ce conflit peut échapper à la compréhension du plus grand nombre, alors que s’enchevêtrent les facteurs historiques, territoriaux, politiques, stratégiques, économiques, culturels et sociaux. La seule certitude est que l’on est témoin d’une guerre totale entre deux peuples, les Israéliens et les Palestiniens, qui se vouent une haine meurtrière et se disputent dans une violence implacable la même terre et ce, depuis 75 ans. Pour mieux comprendre cette guerre qui semble sans issue, je convie le lecteur à lire non pas un traité d’histoire ou de science politique écrit par un spécialiste de grande renommée, mais un roman et sans doute le meilleur sur la question. Je parle bien sûr de L’attentat de Yasmina Khadra.

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Source : fnac.com

Ce livre porte sur un groupe peu connu : les Arabes israéliens ou les Arabes citoyens d’Israël. En effet, le conflit israélo-palestinien est trop souvent résumé à une guerre entre les Juifs d’Israël, d’une part et les Palestiniens, d’autre part, qui habitent les territoires occupés de la bande de Gaza et de la Cisjordanie. Or, en théorie, dans le territoire d’Israël, 2 millions d’Arabes (chrétiens et musulmans) possèdent la citoyenneté israélienne bien qu’ils soient sujets à diverses formes de discrimination et souffrent d’une précarité économique plus grande que leurs concitoyens juifs. Il reste qu’au cours des dernières décennies, grâce à la généralisation de l’éducation et une meilleure répartition de la richesse au sein de la société israélienne, on assiste parmi les Arabes citoyens d’Israël à la formation de classes moyennes et même dans une faible proportion de certaines grandes fortunes. Le héros du roman L’attentat fait partie de cette communauté qui représente 20 % de la population israélienne.

Source : Arabes israéliens, Wikipédia

L’attentat raconte l'histoire d'un médecin palestinien, Amine Jaafari, qui a réussi avec sa femme, palestinienne aussi, à bien intégrer la société israélienne où il bénéficie de la reconnaissance de ses pairs et d'un statut social envié. Son univers s'écroule lorsqu'il apprend que sa femme a mené un attentat suicide où elle a perdu la vie et causé la mort de plusieurs autres personnes. Il devient alors un véritable paria, alors qu’aux yeux de ses concitoyens israéliens il représentait un modèle d’intégration. Il perd temporairement son emploi, ses amis et collègues israéliens refusent de lui parler et il est harcelé par la police qui considère avoir sous la main un dangereux criminel. Incapable de comprendre les motivations de sa femme, qu'il croyait bien connaître, il traverse la zone palestinienne des territoires occupés pour découvrir ce qui a pu amener cette dernière à commettre un tel geste insensé. Dans sa quête de la vérité, il retracera le fil des événements et il y découvrira un conflit qu'il avait oublié dans son ascension sociale et qu'il avait voulu ignorer... 

Ce roman fait partie d’une trilogie avec Les hirondelles de Kaboul et Les sirènes de Bagdad qui vise à fournir une explication par le roman, selon les propos de l'auteur, au mur d'incompréhension qui se dresse entre l'Orient et l'Occident. À mon avis, il nous montre aussi avec brio comment la radicalisation politique et religieuse est vécue de l'intérieur et comment elle happe comme un tourbillon des individus et les broie. L'attentat est selon moi le meilleur livre de Yasmina Khadra qui réussit à créer une tension tout au long de l'intrigue et qui rend le roman captivant. De plus, l'auteur nous offre une boîte à outils pour mieux cerner les contradictions de ce conflit qui déchire le Moyen-Orient et nous éviter ainsi de tomber dans le piège des stéréotypes culturels et des déterminismes sociaux.

La force du roman L’attentat réside dans le personnage principal qui incarne à la fois une dualité politique et culturelle en tant qu’Arabe citoyen israélien. Ce personnage peut d’autant plus facilement traverser les frontières du conflit israélo-palestinien et témoigner de la souffrance, de la colère et du ressentiment de chacun des belligérants entraînés malgré eux dans une spirale de violence qui perpétue la volonté de revanche à chaque génération. Un phénomène que connaît bien l’auteur de son vrai nom Mohammed Moulessehoul qui, dès l’âge de neuf ans, a été envoyé par son père à l’académie militaire pour devenir officier de l’État algérien. C’est au cours de ses vingt-cinq ans de service militaire qu’il a entrepris une carrière d’écrivain dans la clandestinité en empruntant comme nom de plume les deux prénoms de son épouse (Yasmina et Khadra) en hommage au soutien indéfectible de celle-ci qui a toujours encouragé sa vocation littéraire, mais aussi pour se solidariser avec la cause de l’émancipation des femmes algériennes.

Source : Entretien Yasmina Khadra entre résistances et insubordinations, kapitalis.com

L’attentat fut le début d’une longue histoire d’amour avec l’œuvre de Yasmina Khadra qui connut sa consécration lors d’un festival de littérature, tenu dans un café, à Chengdu, dans le Sichuan, en Chine, où j’ai eu l’honneur, mais surtout le bonheur, d’assister à une conférence de cet auteur. Jamais de toute ma vie, j’aurais cru possible de rencontrer Yasmina Khadra dans un café à Chengdu. Preuve que le monde est vraiment minuscule. Toutefois, ma plus grande joie fut de transmettre ma passion à une étudiante de 3e année qui rédigea son mémoire de maîtrise sur un roman de Yasmina Khadra portant sur la tragédie franco-algérienne, Ce que le jour doit à la nuit. Dans les universités chinoises, les professeurs n’ont d’yeux que pour les œuvres classiques françaises et considèrent trop souvent, et surtout malheureusement, que la littérature francophone se borne à celle de l’Hexagone. À force d’insistance, mon étudiante a réussi à obtenir la permission d’étudier ce roman algérien que j’avais fait lire en classe. Merci Wang Dan pour ta confiance! Avec toute ma gratitude!

Source : Ce que j’en lis

Pour ceux qui ont adoré le roman L'attentat, je suggère la bande dessinée qui est très fidèle à l'œuvre et qui montre bien la complexité du conflit israélo-palestinien et la position particulière des Arabes israéliens (les Arabes vivant en Israël et non pas dans les territoires occupés). Bonne lecture!

Source : L’attentat, planetebd.com

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