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Tout en un seul homme

Chère amie,

 

Si je te dis « Einstein », tu sais de qui je parle? Je pense bien que tout le monde a déjà entendu parler d’Einstein. Sa théorie de la relativité a révolutionné les sciences et a complètement transformé notre compréhension de l’univers. Mais probablement que peu de gens connaissent Einstein d’un point de vue spirituel. Quelque chose me dit que ce cher Einstein « vivait poétiquement », pour reprendre les termes de ma lettre précédente. Voici ce qui me le fait croire… 

Einstein¹ en avait contre ce qu'il appelait « le réalisme simplet » engendré par la science moderne. En fait, il reprochait aux scientifiques de son époque (et cela ne s’est qu’aggravé depuis!) de trop vouloir s’éloigner du « silence des espaces infinis », c’est-à-dire de vouloir dissocier la science de l'émotion profonde que peuvent ressentir les humains devant les phénomènes de la vie. Pourtant, disait-il en substance, si je n’avais pas éprouvé l'émotion la plus profonde devant le mystère de la vie, si je n’avais pas été convaincu de l’harmonie de l’univers, je n’aurais pas pu élaborer la théorie de la relativité. « Si quelqu'un ne connaît pas cette sensation ou ne peut plus ressentir étonnement et surprise, il est un mort-vivant et ses yeux sont désormais aveugles », disait-il encore. Ce sentiment, il l’appelait « religiosité cosmique » en soulignant que « cette religiosité ne connaît ni dogme ni Dieu créé à l'image de l'homme et donc qu'aucune Église ne peut l'enseigner ». Il craignait que le matérialisme ambiant, par peur de cette religiosité, n'ait causé bien des dégâts. 

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Pour Einstein, c'est ce « sentiment cosmique » qui fonde le beau et le vrai, suscitant ainsi l'art et la science. C’est aussi ce sentiment qui met en marche la véritable pensée. De plus, affirmait-il, ce sentiment nous met « moralement en accord avec l'univers ». Einstein était convaincu que la base de la responsabilité morale et sociale se trouve là, dans ce sentiment de totalité, dans la reconnaissance intuitive d’une harmonie au sein de tout ce qui existe. Si ce désir d'harmonie était présent dans le cœur des hommes, on constaterait un plus grand respect des êtres humains, de la nature et des cultures. Séduisante, cette philosophie de la vie, n’est-ce pas mon amie? On comprend qu’en adoptant cette philosophie, nous pourrions devenir plus conscients de notre appartenance à une essence commune de tout ce qui existe, ce qui, j’ose l’espérer, ralentirait notre ardeur à vouloir tout détruire. Pour Einstein, c’est nous et nous seuls qui séparons l’Homme de Dieu, Dieu de la Nature, l’Homme de la Nature et les Hommes entre eux. Briser l’harmonie, voilà ce que notre esprit s’entraîne à faire. Tout cela au profit d’un ego avide de pouvoir. Nous sommes les premiers artisans de nos malheurs…

Dans son livre consacré au philosophe Bacchus Spinoza (1632-1677), l’auteur Frédéric Lenoir soulève une anecdote à propos d’Einstein. À l’époque, écrit-il, le grand Rabin de New York demanda à Einstein s’il croyait en Dieu. Einstein lui répondit : « au Dieu de la Bible, non, au Dieu de Spinoza, oui. Je crois au Dieu de Spinoza qui se révèle dans l’harmonie de tout ce qui existe, mais non en un Dieu qui se préoccuperait du destin et des actes des humains ». 

Spinoza, rappelons-le, a été excommunié par les autorités religieuses de son époque. Il s’est pourtant maintes fois expliqué, et il s’est bien défendu d’être un athée. Mais il n’aura pas pu convaincre les autorités parce que sa foi, pourtant bien réelle, n’était pas envers un Dieu qui ressemblait à celui de la Bible. Pour lui, Dieu n’était pas un être « fait à l’image de l’homme », personnifié, qui voit tout et qui intervient directement dans les affaires humaines, comme nous l’avons imaginé. Il affirmait plutôt que Dieu est tout. Tu vois l’importante différence? « Être tout » signifie vivre dans tout ce qui existe, y compris l’horreur… 

Tout est Dieu et Dieu est en tout. La philosophie de Spinoza rappelle les fondements de certaines philosophies orientales qui prônent la non-dualité comme voie de la sagesse. Bien qu’on y distingue le divin impersonnel (le brahman) de l’âme personnelle (l’atman), il n’en demeure pas moins que, dans ces philosophies, ces deux entités n’en font qu’une seule, faisant de chaque individu une partie du Tout cosmique. Mais il se trouve que par une sorte de clivage qu’opère notre esprit, nous ne ressentons plus cette connexion. Le but ultime de toute vie humaine serait justement que cesse toute dualité. Cela nécessite un acte de conscience. Chez Spinoza, l’indice qui nous permet de croire que nous sommes sur la voie de l’unification (et de la sagesse), c’est la joie. C’est de joie en joie que nous grandissons et que nous pouvons atteindre la béatitude (la joie ultime). Inutile, donc, de « combattre » le mal à coup de condamnation! En cultivant la joie (et il insiste sur le fait que c’est la pratique de l’amour et la justice qui procurent la joie la plus réelle), le mal s’essouffle de lui-même. D’où la parole de Saint-Augustin : « aime et fais ce que tu veux ». Qui aime ne peut qu’offrir ce qui est bon…

On comprend que Einstein ait pu être séduit par cette philosophie. On peut certainement dire de cet homme qu’il était une personne unifiée. Science, poésie, philosophie et spiritualité se rencontraient en lui. Il n’est donc pas surprenant qu’il ait pu imaginer que la matière et l’énergie puissent être les deux faces d’une même réalité. On dit de lui qu’il avait la naïveté d’un enfant. Peut-être est-ce cela, le génie?

 

Amitiés,

Guy

¹ Mes propos concernant Einstein ont été tirés d'un très beau texte de l'écrivain Yvon Rivard intitulé Ralentir travaux, publié dans un ouvrage collectif (sous la direction de Sébastien Mussi) titré La liquidation programmée de la culture - Quel cégep pour nos enfants?

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