Moi, Claude de Robert Graves
Suggestion de lecture d’accompagnement
pour le film Gladiateur II
Gladiator II, de Ridley Scott, a pris l’affiche le 22 novembre dans un cinéma près de chez vous. Ce film fait suite au premier produit en 2000 et qui avait relancé le style cinématographique du péplum – ces films d’action se déroulant dans l’antiquité gréco-romaine – qui a connu ses heures de gloire dans les années 1950 et 1960 en Italie, mais surtout aux États-Unis. C’est un véritable tour de force qu’a réalisé Ridley Scott, celui de ressusciter un genre de film qui a toujours eu la réputation d’être un peu démodé et très primaire sur le plan du contenu, sauf pour Ben Hur, et en faire une fresque historique grandiose qui a redonné au public le goût de la Rome antique. Bien sûr, le film comporte de nombreuses erreurs historiques – divertissement oblige –, un scénario simpliste à l’excès, mais néanmoins accrocheur grâce à son style épique et surtout il ne ménage pas le public par la violence omniprésente qui, il faut le concéder, nous garde en haleine tout au long du film grâce à la présence de Russel Crowe et Joaquin Phoenix dans les rôles du héros et du vilain.
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Gladiator II de Ridley Scott (2024)
Source: Wikipedia
Je profite de cette vague d’intérêt pour l’Empire romain, qui ne sera peut-être pas que passagère, pour vous recommander sans doute le meilleur roman écrit sur la Rome antique selon moi. Je parle bien sûr de I, Claudius, écrit par Robert Graves en 1934 et qui est considéré comme l'une des 100 meilleures œuvres littéraires britanniques. Robert Graves a puisé son inspiration dans les textes classiques des historiens Tacite, Plutarque et Suétone pour reconstituer à sa façon la vie de l'empereur Claude, tristement célèbre pour avoir été empoisonné par sa nièce Agrippine qu'il avait épousée et qui voulait mettre son fils Néron sur le trône...

I, Claudius de Robert Graves (1934)
Source : Pop Classics
Le roman prend la forme d'une autobiographie racontée à la première personne par Claude lui-même à la fin de sa vie. Il raconte comment en feignant d'être un idiot il réussit à survivre à toutes les intrigues de sa puissante famille les Julio-Claudiens qui passait le plus clair de son temps à s'entretuer. Il faut dire que le pauvre Claude n’avait pas été gâté par la nature. Il était bègue, boiteux en raison d’une jambe plus courte que l’autre, sourd d’une oreille et comme il le disait lui-même... avec la moitié d’une cervelle. Ce physique ingrat lui sauva sans doute la vie plusieurs fois. Ce roman nous fait voyager dans le temps à travers les intrigues de la cour impériale des règnes d'Auguste, Tibère, Caligula et finalement, Claude lui-même qui devint empereur couronné de force par la garde prétorienne, après l’assassinat de son prédécesseur, qui réclamait un souverain pour qu’elle puisse continuer à recevoir la généreuse solde réservée aux soldats.

Assassinat de Messaline, épouse de l’empereur Claude, sous l’ordre de ses conseillers. Messaline avait la réputation, en raison de ses intrigues politiques et amoureuses,
d’être la femme la plus dangereuse de l’Empire.
Source : Scribouill’art sur WordPress.com
La force du roman est de nous décrire au-delà des complots, des intrigues, des assassinats, la vie quotidienne à Rome, les croyances religieuses, les coutumes, les traditions familiales, la vie politique. Il est aussi fascinant de voir comment les excès des empereurs mégalomanes, paranoïaques, sanguinaires et à demi fous étaient malgré tout contenus par la force des traditions et la solidité des institutions politiques qui permettaient quand même d'éviter les dérives de cette société et de garder toute sa cohésion. Rappelons que seulement le quart des empereurs romains moururent de mort naturelle.
Les femmes ne sont pas davantage épargnées soit dit en passant. Ce roman en trois volumes nous fait découvrir des femmes de pouvoir exceptionnelles comme Livia, Agrippine et Messaline qui en tant que mère, épouse et fille d’empereur n'ont rien à envier à l'ambition, la démesure et la cruauté de leurs rivaux masculins. Bien que le pouvoir impérial semble relever de prérogatives uniquement masculines, le roman montre bien que de manière souterraine ces femmes usent de leurs charmes et de leur intelligence et n’hésitent pas à recourir au crime pour se porter à la défense des traditions, accéder au pouvoir ou s'y maintenir ou tout simplement servir leurs intérêts.

Après l’assassinat de l’empereur Caligula, son oncle Claude se cache derrière un rideau où la garde prétorienne le découvre et le proclame empereur contre son gré.
Source : englishhistory.net
Le roman ne nous confine pas uniquement aux intrigues de palais. Par la narration de Claude, on plonge aussi dans des conflits fascinants qui ont ébranlé les fondations de l’Empire romain et qui à long terme ont redessiné la carte de l’Europe. Ainsi, on assiste à la stupéfaction de la famille impériale qui apprend que 20 000 légionnaires ont été massacrés par les Germains, dirigés par leur chef Arminius (ou Herman) qui avait attiré les légions romaines dans la forêt et leur avait tendu un traquenard meurtrier. Cette terrible défaite empêcha tout le nord et l’est du continent de tomber dans la sphère d'influence romaine et de parler latin. Sans doute l'anglais doit-il une fière chandelle au général germain Arminius qui administra une cuisante défaite aux Romains et leur fit renoncer à leurs ambitions impériales à l'est du Rhin et permit aux langues germaniques de prospérer donnant naissance ainsi beaucoup plus tard à la langue de Shakespeare.

Conseillé par Arminius à qui il faisait confiance, le général Varus conduisit ses légions dans la forêt de Teutobourg qui furent cernées et annihilées par les Germains.
Source : worldhistory.org
À l’instar de Gladiator, le lecteur doit se montrer méfiant envers ce roman qui ne se soucie pas toujours de la réalité historique et pêche un peu par exhibitionnisme et par voyeurisme en nous offrant le récit le plus sensationnaliste possible sur les mœurs dissolues de l’aristocratie romaine. Les historiens nous diraient que les excès de la cour impériale devraient être relativisés par une mise en contexte historique, ainsi qu’une critique des sources qui ne sont pas neutres, bien au contraire, et qui cachent des passions politiques inavouables. Il reste que pour continuer le parallèle avec le film de Ridley Scott, I, Claudius offre un récit fascinant extrêmement romancé, il va sans dire, mais qui nous convie à la fois à un divertissement littéraire et à un retour historique à notre héritage antique.