Le Guizhou, le secret le mieux gardé de Chine
(pourvu qu’il le reste)
Mon long séjour en Chine m’a permis de visiter une région de ce vaste pays à chaque congé. Si, au début, je privilégiais les grandes artères urbaines et les sites inscrits au patrimoine mondial, je ne tardai pas à me tourner vers les régions méconnues et oubliées. À ce titre, la palme d’or revient à une région même ignorée par les Chinois : le Guizhou. Et pour cause, c’est une région montagneuse, éloignée de la mer et assez difficile d'accès.

Source: Chinese Language Blog
L’impression de cette insularité est même ressentie par les touristes. Le Guizhou apparaît comme un véritable village d’irréductibles Gaulois qui résiste encore et toujours à l’Empire tout puissant de la mondialisation. La preuve en est de l’impossibilité de trouver un café dans une ville de taille moyenne comme Kaili. Or, pour un caféinomane de mon espèce, il s’agit d’une question vitale. Après des heures de pérégrinations dans la ville, j’ai finalement trouvé un Dico’s, une chaîne de restaurant de hamburger de très bas de gamme pour les clients qui ont le cœur solide. Je n’étais pas là cette fois-ci pour me bloquer quelques artères, mais pour boire un café. Or, je pus lire la terreur dans les yeux des employées du restaurant quand je franchis le seuil de la porte. Il y avait bien une machine à café, mais visiblement celle-ci servait de décoration, car personne n’avait cru possible qu’un jour un obscur étranger vienne quémander un café. Après tout, nous sommes dans le pays du thé. Les employées paniquées firent appel au gérant tout heureux d’avoir enfin une mission à la hauteur de son génie managérial pour asseoir enfin son autorité. Toutefois, ses épaules s’affaissèrent instantanément lorsqu’il prit conscience de la tâche titanesque qui l’attendait. Heureusement, une employée vraiment futée pressa le bouton magique de la machine qui déclencha un vrombissement, puis un arôme exquis se dégagea dans la pièce qui nous fit tous comprendre que la victoire était presque assurée. Le gérant ne pouvait cacher son émotion. Grâce à sa gestion efficace de la crise, le premier café de l’histoire de cet établissement venait d’être produit lui conférant ainsi un statut résolument international et moi j’avouais être pas peu fier d’avoir contribué à sceller un pacte d’amitié entre l’Occident et l’Orient dans le Dico’s de Kaili grâce à ce café tant convoité!

Source : green queen
Une autre particularité importante de cette région est le rôle joué par les minorités. Plus de 17 minorités sur 55 reconnues en Chine sont recensées, dont les Miao, les Yao, les Yi, les Qiang les Bouyeis, les Dong, les Bai, les Tujia, les Gelao, les Sui et les Zhuang, qui composent 37 % de la population. Ces minorités disposent d’avantages comme des quotas au sein des institutions politiques, de la fonction publique et des universités, ainsi que d’un soutien financier de l’État pour la conservation de leur culture et de leurs traditions. L’avantage le plus important qui leur a été concédé est l’exemption à la politique de l’enfant unique (aujourd’hui révolue) qui leur a permis d’avoir un taux de natalité plus élevé que celle de la majorité (avantage politique indéniable). Des droits (ou des privilèges, cela dépend de la perspective) qui suscitent parfois l’envie et la jalousie de la population han (les individus d’origine ethnique chinoise).

Source : mission infobank
Enfin, le Guizhou se caractérise par son histoire de résistance au pouvoir central. Cette singularité qui perdure encore aujourd’hui s’explique en raison du relief montagneux et peu accessible qui a longtemps été un repaire du banditisme et un refuge pour tous ceux qui souhaitaient se soustraire aux lois de l’Empire du Milieu. Le Guizhou fut longtemps une épine au pied du pouvoir impérial qui dut essuyer plusieurs révoltes des Miao (1735-1736, 1795-1806 et 1854-1873), ainsi que des insurrections paysannes. Il est fascinant de constater que l’on assiste aux mêmes répétitions historiques, peu importe la région où l’on se trouve. En effet, les révoltes Miao furent des réponses à la tentative du gouvernement impérial d’occuper leurs terres par des colons han et de les assimiler par la force si nécessaire. Ces conflits sont tout à fait comparables à la conquête de l’Ouest, survenue à la fin du 19ᵉ siècle, alors que le gouvernement américain souhaitait ouvrir les nouveaux territoires à la colonisation et contraindre les Premières Nations à s’installer dans des réserves pour les assimiler. À l’instar de ce qui s’est passé au sud de chez nous, la résistance des Miao conduisit à des massacres de masse qui s’élèveraient à des millions de victimes selon certains historiens.

Source : Worldwide Bible Translation, rflr
Aujourd’hui, la situation est bien différente. L’isolement du Guizhou a été brisé par la construction du chemin de fer et des autoroutes dans les dernières décennies et le touriste est invité à visiter les villages Miao, pour assister à la vie quotidienne de ses habitants et aux diverses manifestations de leur culture et de leurs traditions. Le village de Xijiang est magnifique. Les habitations sont collées les unes aux autres et construites en hauteur pour préserver les surfaces cultivables nécessaires à la survie économique des Miao. Ces derniers pratiquent la culture du riz au flanc des montagnes et élèvent du bétail et des animaux de ferme. Dans le village, les hommes préparent l’alcool de riz, tandis que les femmes se consacrent à l’artisanat comme le tissage et la joaillerie. Je me suis d’ailleurs découvert une véritable passion pour l’alcool de riz fait avec des fleurs de fruit. À mon retour de voyage, je partageais avec tout mon entourage mon amour naissant pour ce divin élixir (j’aime l’alcool de fleur – Wǒ xǐhuān huā jiǔ – 我喜欢花酒) ne sachant pas que le nom que je donnais à cette boisson (huā jiǔ) signifiait aussi dans la langue populaire fille de joie…. Heureusement, les Chinois savent se montrer compréhensifs et indulgents envers la maladresse des étrangers qui par excès d’enthousiasme s’empêtrent dans les subtilités de cette langue qui a, avouons-le, sa part de complexité.



Source : Collection personnelle
La société Miao est un matriarcat où à tout le moins les femmes Miao sont plus libres que celles des Han, soumises à l’autorité du père ou du mari selon les préceptes du confucianisme. Très souvent, les femmes du village offrent un spectacle de danse aux visiteurs. Elles revêtent leurs plus belles robes qu’elles tissent elles-mêmes et qu’elles teignent avec la plante d’indigo, ce qui donne cette couleur bleu si vif. Elles portent aussi fièrement les parures en argent qu’elles confectionnent avec beaucoup d’habileté. Pour les femmes Miao, l’argent est sacré. Il représente à la fois une source de féminité, mais aussi pour celle qui porte cette précieuse joaillerie, le symbole de la santé et de la fortune. Il n’est donc pas étonnant que dès la naissance de leurs filles, les parents tentent d’accumuler des métaux en argent pour confectionner des bijoux en prévision de leur futur mariage. En effet, plus une femme porte de l’argent à son mariage, plus elle est réputée être en bonne santé et de venir d’une famille prospère. Par contre, la cérémonie se promet d’être pénible pour la future mariée qui doit supporter toutes ces décorations en argent sur son corps tel un chevalier en armure!

Enfin, pour clore la visite de cette magnifique région, je m’en voudrais de ne pas recommander le délicieux Suan Tang Yu - 酸汤鱼. Il s’agit d’un poisson que l’on fait bouillir dans de l’eau avec des tomates, des épices, des fines herbes et du gingembre. Ce plat acide et épicé s’est imposé dans une région où le sel est difficile à trouver et permet d’éviter des visites trop assidues à la toilette qui sont fréquentes dans une région humide et tropicale comme le Guizhou.

Source : Guiyang_suantangyu4.jpg (450×337)
Au cours de ce voyage, les montagnes étaient enveloppées par la brume qui ne laissait pas passer à travers son épais manteau une seule parcelle de soleil. Malgré tout, je garde des souvenirs impérissables de ce périple peut-être parce que la clé d’un beau voyage est de n’avoir aucune attente. Dans le cas du Guizhou, il n’y avait aucun danger tellement cette région semble avoir été oubliée par le temps et la Chine tout entière. C’est ce qui fait sans doute son charme et lui permet de rester le secret le mieux gardé de l’Empire du Milieu.