
Dürnstein, un haut lieu insoupçonné
(et sous-estimé) de l’histoire médiévale
L’année dernière, j’ai fait un magnifique voyage en Autriche. J’avais décidé de passer quelques jours dans la région de Wachau reconnue par l’UNESCO comme faisant partie du patrimoine mondial pour sa route des vins. J’ai loué une superbe maison dans une petite ville au bord du Danube à Krems an der Donau. La maison très ancienne surplombait la ville construite en hauteur, ce qui me permettait d’admirer la vue de son fleuve, le Danube, qui fait tant la fierté des Autrichiens.

La plupart des touristes visitent cette région pour les petits villages, les châteaux et monastères, et surtout les vignobles à la réputation internationale. C’est l’occasion de loger dans un hôtel luxueux, de goûter à des spécialités régionales et de découvrir de nouveaux vins. Quant à moi, j’étais dans cette région pour d’autres raisons. J’avais entendu que la petite ville de Dürnstein avait hébergé au début du 12ᵉ siècle, à son corps défendant, le roi d’Angleterre Richard Cœur de Lion qui avait fait les frais pendant plus d’une année de son impulsivité légendaire, notamment avec un ancien allié.

Je quittais donc ma demeure très tôt le matin pour faire une balade en bicyclette et me rendre à Dürnstein. Ce n’est pas très loin à peine une quarantaine de minutes. Quelle ne fut pas ma surprise de rencontrer à l’entrée de la ville un monument qui rendait hommage aux soldats russes et autrichiens qui avaient infligé en 1805 une cruelle défaite aux troupes de Napoléon! Une bataille dont je n’avais jamais entendu parler. Et pour cause! Quelques semaines plus tard, Napoléon réalisait son plus grand chef-d’œuvre militaire, Austerlitz, forçant les Russes et les Autrichiens à accepter des conditions de paix humiliantes. La victoire de Dürnstein s’est trouvée éclipsée par cet exploit guerrier napoléonien à un tel point que le fait d’armes russo-autrichien passe aujourd’hui inaperçu dans les livres d’histoire.

Source : Cooking Classy

Source : Collection personnelle
La ville de Dürnstein est magnifique (bien qu’hyper touristique) avec ses bâtiments anciens, couleur pastel, ses restaurants, ses boutiques et ses terrasses. C’est l’occasion de goûter à l’une des spécialités autrichiennes : le schnitzel cordon bleu (escalope panée). Le Wiener Schnitzel (escalope à la viennoise) n’a rien de très raffiné, mais le cordon bleu en est un de luxe. Comme tous les schnitzel, c’est une escalope de porc, de veau ou de dinde panée (jusqu’ici rien de très succulent ou très excitant). Toutefois, à l’intérieur du cordon bleu, on y retrouve du jambon, du fromage et surtout une confiture de canneberges qui fait de ce schnitzel un plat culinaire véritablement à part.

Source : Collection personnelle
Toutefois, le véritable objectif de ma visite à Dürnstein était de suivre les traces de Richard Cœur de Lion, figure légendaire et chevaleresque des temps médiévaux. Pour cela, il faut monter pendant une bonne heure les marches de pierre qui conduit à un piton rocheux. S’il ne reste qu’un amas de ruines du donjon qui a accueilli le roi d’Angleterre, la vue sur la vallée danubienne, les villages environnants et leurs vignobles vaut la peine d’entreprendre l’expédition même si celle-ci est exténuante pendant les chaleurs d’été.


Source : Collection personnelle

Source : Collection personnelle
Ce qui nous amène à revenir au plus célèbre captif de ce château aujourd’hui décrépit. En effet, Richard Cœur de Lion a été décrit par ses contemporains comme le modèle du roi chevalier tant pour sa piété, son abnégation que sa vaillance et sa bravoure. Un roi qui armait son bras pour servir Dieu (celui des chrétiens, il va sans dire) dans les croisades contre les sarrasins (comme on appelait les musulmans de l’époque) pour libérer la ville sainte de Jérusalem. Les chroniqueurs aussi mentionnent ses défauts : impulsif, irascible, brutal et même cruel. Il pouvait observer les codes de la chevalerie à la lettre et se montrer magnanime avec ses ennemis comme il pouvait se montrer sans merci envers ceux qui lui résistaient. Ainsi, il n’hésita pas à faire massacrer de sang-froid après la prise de Saint-Jean d’Acre 3000 prisonniers de guerre (dont 300 femmes) malgré sa promesse de leur laisser la vie sauve.
C’est lors de la troisième croisade en terre sainte qu’il se fâcha contre l’un de ses alliés, le duc Léopold d’Autriche, et déchira son étendard. Un affront impardonnable pour ce dernier. En 1192, après avoir échoué devant les murs de Jérusalem, Richard doit se résigner à retourner dans son royaume pour rétablir l’ordre où son frère Jean complotait pour lui ravir le trône, ainsi que pour combattre le roi de France Philippe Auguste qui profitait de son absence pour s’emparer de ses possessions normandes. Il choisit de passer clandestinement, et déguisé, sur les terres de Léopold d’Autriche, mais celui-ci eut vent des allées et venues de son ancien allié et le fit capturer, bien décidé à lui faire payer amèrement son offense. Il l’enferma dans le château de Dürnstein et réclama une rançon de 100 000 marcs – une somme d’argent colossale pour l’époque. C’est la mère de Richard, la puissante Aliénor d’Aquitaine, qui gouvernait à sa place d’une main de fer, qui leva la somme en saignant le royaume d’Angleterre de ses richesses. Toutefois, la popularité du roi était si grande que le peuple anglais n’hésitât pas à faire tous les sacrifices inimaginables pour libérer son souverain. Un an plus tard, la somme était réunie et le roi Richard était libre à nouveau pour régler ses comptes avec son frère Jean, et surtout le roi de France Philippe Auguste. C’est lors du siège de Châlus que mourut Richard Cœur de Lion en 1199 – six ans après sa libération – alors que la bonne fortune qui l’avait pourtant hautement favorisé jusque-là l’abandonna. La flèche d’un arbalétrier se logea dans la gorge du roi anglais en raison de son heaume mal ajusté et la blessure lui fut fatale. C’est son frère Jean, faible, entêté et querelleur, qui lui succéda pour le plus grand malheur de l’Angleterre et pour la plus grande joie du roi de France qui faisait face désormais à un adversaire beaucoup moins redoutable. Quant à Léopold d’Autriche, le montant de la rançon lui permit de frapper une nouvelle monnaie, développer le commerce dans son duché qui devint l’un des plus prospères d’Europe et fortifier de nombreux châteaux et forteresses.
Certes, le château de Dürnstein aujourd’hui ne paie pas de mine et n’impressionne guère sauf pour le panorama qu’il offre de la vallée danubienne. Il reste que pour l’historien ou celui charmé par les lieux porteurs d’histoire et de mémoire le château de Dürnstein, malgré son apparence grossière, témoigne d’un moment clé de l’histoire du moyen-âge avec des personnages historiques plus grands que nature qui participèrent aux enjeux de leur temps, et surtout s’affrontèrent : Richard Cœur de Lion, Léopold d’Autriche, Jean sans Terre, Philippe Auguste, Aliénor d’Aquitaine. Et ce pour le plus grand ravissement des habitants de Dürnstein, fiers d’avoir 900 ans plus tôt reçu un hôte distingué qui fait partie désormais de leur patrimoine historique et culturel.