top of page

La Belle du Caire :

un roman balzacien égyptien

La littérature arabe est souvent mal connue des Occidentaux (à l’exception du Maghreb en partie francophone) et c’est bien dommage, car elle est d’une richesse insoupçonnée et puise son inspiration dans les racines de sa civilisation millénaire.

​​

Littérature arabe

01-Littérature arabe.jpg

La Belle du Caire de Naguib Mahfouz (1911-2006) est un très beau roman égyptien publié en 1945 qui nous offre un portrait fascinant de la société cairote dans une période de bouleversement politique. L’auteur, récipiendaire du prix Nobel de littérature en 1988 et surnommé le Balzac égyptien, se fit la voix de l’Égypte profonde dépeignant une société en mutation et déchirée entre ses traditions millénaires et ses aspirations irrésistibles à la modernité. Son œuvre monumentale, étalée sur plus de six décennies a mis en scène avec délicatesse et sensibilité toutes les classes sociales sans rien cacher ni épargner personne. Son portrait très réaliste de la société égyptienne lui a valu de nombreux ennemis et il a dû faire face aux dénonciations religieuses des oulémas, la censure du pouvoir politique et même les menaces des fanatiques islamistes qui tentèrent de l’assassiner en 1994.

Naguib Mahfouz (1911-2006)

02-Naguib Mahfouz.jpg

La Belle du Caire est l'histoire d'un aristocrate, Qasim bey Fahmi, qui souhaite protéger sa jeune maîtresse des regards soupçonneux. Son homme de main propose un marché à un étudiant pieux, mais miséreux, qui doit trouver de l'argent pour soigner son père malade : celui de marier la maîtresse du bey en échange d'une position avantageuse dans un ministère. Le jeune homme, qui s'appelle Mahgoub Abd el-Dayim, y voit là l'occasion de sauver sa famille de la pauvreté et de se hisser à une position d'influence au sein des sphères de pouvoir. 

 

03-La bouquinerie du Liseron.jpg

Ce roman est fascinant pour deux raisons principales. La psychologie des personnages d'abord. On y découvre un jeune homme réservé, timide, même un peu timoré, qui se transforme peu à peu en un arriviste sans scrupule, arrogant et ambitieux, prêt à toutes les bassesses pour satisfaire son désir de mobilité sociale. Même de mentir et de déshonorer sa propre famille en jouant le mari modèle en échange d'un poste dans l'administration. Dans la première partie, on éprouve de la sympathie pour le jeune homme franc et honnête, déchiré par son désir d'étudier ou celui de quitter ses études pour aider son père malade. Dans la deuxième partie, on développe peu à peu une aversion pour la duplicité du personnage qui se montre toujours plus avide et ambitieux, et qui prend plaisir à jouer au faux mari en méprisant ses anciens amis et sa famille qu'il renie presque. Dans une troisième partie, on assiste à sa déchéance. À la suite d'un changement de gouvernement, Qasim bey Fahmi est limogé et entraîne dans sa chute son protégé qui perd tout. Pouvoir, influence, argent, confort et femme... En plus du déshonneur quand sa famille apprend qu'il a contracté ce mariage amoral. 

L'autre élément intéressant, c'est le portrait qui est brossé de la société cairote. Une société en plein changement et en plein mouvement à la fois libéral, progressiste, cosmopolite, mais aussi consciente de son héritage historique et religieux qui guide le désir de réforme des classes moyennes naissantes de l’entre-deux-guerres. Une société en pleine ébullition nationaliste où les mouvements étudiants cherchent à lancer une révolution pour secouer le joug britannique et accéder à la laïcité, à la démocratie et à la modernité. Malgré les structures sociales figées, l'inégalité et la corruption endémique, Le Caire semble une société ouverte sur le monde et traversée par différents courants d'idées. Ce roman révèle que Le Caire était bien le phare du monde arabe qui fascinait même les puissances européennes. Mahfouz décrit une société pleine de vitalité, fière de son passé et confiante dans son avenir. Même pour les femmes de la bourgeoisie qui, grâce à leur éducation, sont au premier plan dans la vie mondaine et très active dans la culture et les arts. 

 

04-Cairo 1941.jpg

Or, cette promesse d’un rendez-vous de la société égyptienne avec un destin prometteur ne s’est pas réalisée au lendemain de l’indépendance égyptienne en 1952. Elle a laissé la place à l’autoritarisme politique de dictateurs comme Nasser, El-Sadate et Moubarak qui ont, certes, été de grandes figures nationalistes qui ont marqué la conscience collective par l’affirmation de l’État égyptien notamment face à l’Occident et Israël, mais qui ont aussi détourné la révolution de son sens libéral, démocratique et progressiste pour asseoir leur domination et consolider le pouvoir d’une nouvelle classe dirigeante perpétuant les inégalités sociales au sein du reste de la population. Toutefois, l’œuvre de Naguib Mahfouz nous rappelle que les Égyptiens ont toujours eu cette capacité de puiser dans les forces vives du passé, de s’adapter à un monde changeant et d’intégrer les apports culturels des autres civilisations pour surmonter leurs épreuves comme le montre la mobilisation de la jeunesse pendant le printemps arabe en 2011 même si à nouveau les aspirations démocratiques ont été étouffées dans l’œuf par les élites conservatrices, l’armée et les mouvements ultrareligieux. C’est à ce message d’espoir que nous convie Naguib Mahfouz à travers son œuvre littéraire magistrale afin que les Égyptiens et les Égyptiennes ne voient plus leur avenir comme une fatalité et qu'ils puissent au contraire retrouver ce souffle, cette sève qui faisait de leur capitale la Ville lumière du Moyen-Orient et un pays d'avant-garde, et ce, il n'y a pas si longtemps.

Printemps arabe en Égypte (2011)

05-Printemps arabe en Égypte.jpg
Commentaire à l'auteur.png
Liste de tous les articles de.jpg
bottom of page