Quand on part à la recherche de mots rares ou désuets, on découvre bien vite que tous les dictionnaires ne s’entendent pas sur leur sort. Là où Antidote met en garde contre un usage archaïque, Le Robert se montre parfois plus permissif. Le Littré, lui, les chérit avec tendresse, pendant que le Larousse les oublie dans un coin de page. Et l’Académie française? Elle arrive souvent en dernier, la plume bien droite, mais le ton un peu pincé.
Ce mois-ci, nos trouvailles illustrent bien ces divergences : l’un est enrhumé, mais élégant (enchifrener), l’autre parle pour ne rien dire, mais avec panache (lantiponner). Deux mots, deux ambiances... et au moins cinq sources pour s’y retrouver!
Enchifrener
Si vous êtes enrhumé, vous pourriez bien être enchifrené. Ce mot ancien et délicieusement imagé signifie littéralement « avoir le nez bouché », avec en prime une voix nasillarde qui trahit sans détour votre état.
Le mot vient de l’ancien français chifrene (nez), lui-même d'origine obscure, peut-être liée à chifre (cornet, bec), ce qui évoque la forme du nez. Il est passé dans le langage courant aux XVIIᵉ et XVIIIᵉ siècles, souvent avec une nuance comique. Dans certaines pièces de théâtre, on affuble un personnage enrhumé de ce qualificatif, ce qui donne lieu à une diction comique et à des quiproquos.
L’enchifrènement, au-delà de l’inconfort, peut même devenir un ressort dramaturgique : quoi de mieux qu’un amoureux qui confond les mots à cause de son nez bouché, ou un espion incapable de se faire comprendre à cause de son rhume ? Bref, être enchifrené, c’est bien plus qu’un nez bouché… c’est une façon de faire parler les sinus.
Lantiponner
Ah, lantiponner… voilà un mot savoureux pour désigner l’art de dire des balivernes, de radoter, voire de baratiner avec une éloquence toute relative. C’est parler beaucoup… pour ne rien dire.
Issu de l'ancien français lantiponnerie, le terme évoque un discours creux, souvent long et pompeux, avec une teinte de moquerie. Lantiponner, c’est meubler une conversation avec du vent — une sorte de langue de bois avant l’heure. Le mot serait apparu au XVIIᵉ siècle et s’est fait une place dans la littérature comique.
Molière, par exemple, aurait fort bien pu l’utiliser : on imagine parfaitement un personnage pédant lantiponnant pendant des heures sur un sujet qu’il ne maîtrise pas. On peut d’ailleurs rapprocher ce mot du comportement ultracrépidarien (déjà présenté dans un numéro précédent), mais avec une touche de grandiloquence et de verbiage.
En résumé, celui qui lantiponne est peut-être convaincu d’être profond… alors qu’il ne fait que brasser de l’air.
Avez-vous des mots à nous proposer pour alimenter cette chronique? Des mots que vous auriez rencontrés au cours de vos lectures...