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Juste une aiguille tirant un fil

Une expérience séculaire

Aujourd’hui, l’habillement nous semble acquis. On s’habille le matin sans trop y réfléchir, selon la situation, la météo ou l’humeur du moment. Lorsqu’on veut un nouveau vêtement, on va simplement au magasin de son choix. Mais les vêtements représentent un investissement coûteux. Heureusement, il existe des friperies pour celles et ceux qui disposent d’un budget plus limité.

Entre-temps, pour confectionner en quantité ce prêt-à-porter, des usines – la plupart situées dans les pays du tiers monde – produisent à grande échelle. Les ouvrières, souvent des femmes, y travaillent de longues heures pour un salaire dérisoire, dans des conditions déplorables. Un tableau peu réjouissant.

Une longue histoire de confection

La fabrication des vêtements remonte à plus de 25 000 ans. Activité en constante évolution, elle reflète les transformations de la société elle-même. Jusqu’à l’invention de la machine à coudre à pédale au milieu du XIXᵉ siècle, chaque vêtement devait être entièrement cousu à la main, à l’aide d’un simple fil et d’une aiguille.

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L’invention de la machine à coudre n’a pas été un événement isolé, mais le résultat d’un long processus d’innovations. Tout commence en 1830 avec le brevet du Français Barthélemy Thimonnier pour une machine à point de chaînette, suivi par l’Américain Elias Howe qui crée la machine à point noué en 1846. Enfin, Isaac Singer perfectionne et commercialise largement le modèle, rendant les vêtements plus accessibles et moins coûteux.

Diverses étapes

Coudre le tissu n’était que la dernière étape du processus. Pour tisser les étoffes, il fallait d’abord filer les fibres : coton, lin, chanvre, laine ou soie. Aujourd’hui, les fibres synthétiques comme le polyester ont transformé la mode et la production textile.

 

À partir d’environ 500 après J.-C., le rouet devient l’outil de filature prédominant en Asie et en Europe. La jenny à filer et la mule-jenny, inventées à la fin du XVIIIᵉ siècle, rendent ensuite le filage mécanique beaucoup plus efficace, faisant de la fabrication du coton une des grandes industries de la Révolution industrielle.

Une fois l’étoffe tissée, venait l’étape de la teinture. Si l’on désirait des tissus à motifs ou multicolores, on teignait les fils avant le tissage. Les teintures provenaient de sources naturelles : plantes (guède, garance), minéraux (ocre, lazurite), insectes (cochenille) ou coquillages. On préparait des poudres ou des pâtes colorantes, dans lesquelles les fils ou tissus étaient immergés avec des sels métalliques pour fixer durablement la couleur.

Le tissage à motifs, notamment à carreaux, remonte à plusieurs millénaires. Des exemples anciens découverts en Écosse montrent que des formes primitives de tartan existaient bien avant l’organisation en clans.

Les outils de couture

Les premières aiguilles à coudre, vieilles de 40 000 ans, ont été retrouvées en Sibérie et en Chine. Fendues à une extrémité pour retenir le fil, elles étaient fabriquées en os, en ivoire ou en corne. Les couturiers utilisaient des fibres végétales (lin, chanvre, écorce), des tendons d’animaux ou de fines bandes de peau pour assembler des peaux et se protéger du froid.

Vers le XIVᵉ siècle, des aiguilles en fer apparaissent, plus fines et plus solides. Au Moyen-Orient, on en fabrique déjà en acier de haute qualité, utilisées aussi bien pour la couture que pour la chirurgie, un savoir-faire jalousement gardé dans les sociétés islamiques.

Ces secrets passent ensuite aux Espagnols durant la période mauresque, puis en Angleterre et dans le reste de l’Europe. En 1639, les Anglais commencent à fabriquer des aiguilles dans la ville de Redditch, en utilisant la technique du fil de fer tiré — toujours employée aujourd’hui. Redditch devient alors le centre mondial de l’industrie de l’aiguille : vers 1655, elle produit à elle seule 90 % des aiguilles à coudre du monde.

Aujourd’hui, la production est surtout concentrée en Asie (notamment en Chine), mais aussi en Allemagne, en France et au Brésil. Une petite aiguille, mais une grande histoire!

La fabrication d’une aiguille

Pour fabriquer une aiguille à coudre, on chauffait le métal (souvent de l’acier), qu’on étirait à travers une matrice avant de le couper en petites longueurs. L’extrémité était aplatie et percée pour former le chas.

Ce métier était dangereux : si la meule cassait, les ouvriers risquaient de graves blessures. Le danger principal demeurait toutefois l’inhalation de poussières de métal et de pierre, causant des maladies pulmonaires. L’espérance de vie d’un fabricant d’aiguilles ne dépassait guère 35 ans. Beaucoup résistaient à la mécanisation, craignant la baisse de leurs salaires.

Les aiguilles, objets indispensables mais minuscules, se perdaient facilement. On fabriquait donc des étuis à aiguilles, souvent attachés à la ceinture des femmes. Ces petits accessoires raffinés existent dans presque toutes les cultures.

La contribution féminine

Les femmes ont toujours joué un rôle central dans la confection et le raccommodage des vêtements. La couture faisait partie du savoir domestique essentiel, mais c’était aussi un art et un moyen d’expression. Broderies et travaux d’aiguille étaient exécutés avec soin et fierté.

La confection d’un vêtement exigeait de multiples compétences — tissage, patronnage, coupe, retouches — que les femmes s’échangeaient souvent entre elles. Rien ne se jetait : les vêtements usés étaient démontés, retournés, réassemblés ou transformés en courtepointes. Les enfants portaient les habits de leurs aînés, et chaque morceau de tissu réutilisable trouvait sa fonction.

Les classes aisées, elles, pouvaient s’offrir les services de couturières et de tailleurs professionnels. Charles Frederick Worth (1825–1895), un Anglais établi à Paris, est d’ailleurs considéré comme le premier styliste de mode moderne. Son succès fut tel qu’il imposait lui-même les tendances à sa clientèle.

Avant l’invention de la machine à coudre, les uniformes militaires étaient entièrement cousus à la main par des tailleurs et couturières, à partir de patrons soigneusement élaborés.

Les ficelles du métier

La couture à la main reste une activité exigeante. Elle demande de la régularité, de la précision et de la patience. Voici quelques points de base :

  • Le point de bâti (ou faufilage) : pour assembler provisoirement des morceaux de tissu avant la couture définitive.

  • Le point arrière : pour les réparations, coutures durables ou effets décoratifs.

  • Le point de surjet : pour coudre et finir les bords en évitant qu’ils s’effilochent.

  • Le point avant : pour des coutures simples et des faufilages temporaires.

  • Le point de feston : pour border une couverture ou un tissu épais.

  • Le point invisible (ou d’échelle) : pour les ourlets et les fermetures discrètes.

  • Le point de chaînette : pour les finitions décoratives ou les ourlets de jeans.

  • Le point de croix décoratif (ou de chausson) : pour embellir une bordure ou souligner une couture.

De la pointe de l’aiguille à la fibre du tissu, la couture raconte une part essentielle de l’histoire humaine : celle de la créativité, du travail et du soin. Jadis nécessité, aujourd’hui loisir ou art, elle continue de relier les générations – un fil à la fois.

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