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Changement de tactique pour Cécile et Odile

Cécile est déçue. Personne n’a accepté leur offre de visites à domicile gratuites.

  Faut croire qu’ils sont tous comme Lynda Lemay, ils veulent pas de visite.

Odile sourit. Quelle que soit la situation, Cécile trouve le moyen de faire des blagues.

  Nous pourrions peut-être leur offrir de faire leur épicerie le mercredi, suggère-t-elle à Cécile.
  Qu’est-ce qui te fait croire qu’on va nous faire confiance pour faire l’épicerie? C’est risqué aussi. Qu’est-ce qui arrive s’ils ne nous paient pas? Tu te vois, toi, aller collecter des petits vieux?
  Toi avec une barre à clous et moi avec un bâton de baseball, en plastique, parce que c’est tout ce que je peux lever.

Cécile sourit. Elle aime cette façon qu’a Odile de dépeindre sa réalité.

  Une chance qu’ils nous entendent pas parler… Dans mon village, tout le monde se connaissait. C’était pas compliqué. En fait, les vieux nous appelaient pour qu’on les aide. Combien de trente sous j’ai gagnés à faire des commissions pour ma voisine!
  Je sais pas trop ce qu’on pourrait faire. Pour ma part, je suis tellement limitée, ajoute Odile.
  On va trouver… Je vais faire du café. T’en veux?
  Bonne idée. Ça va nous aider à réfléchir.

Cécile allume le feu sous sa bouilloire et sort son pot de Nescafé instantané, sa boîte de cubes de sucre et sa pinte de crème moitié-moitié. Odile se réjouit à l’idée d’un bon café instantané bien gras et sucré à souhait. « On peut sortir une fille de la campagne… » se dit-elle.

Cécile place sa vieille chaise-escabeau devant le frigo et y grimpe pour se rendre à l’armoire où elle a caché sa dernière batch de biscuits. Elle a conservé l’habitude d’en faire plusieurs douzaines à la fois, mais comme elle est désormais seule pour les manger et qu’elle ne brûle qu’une fraction des calories qu’elle dépensait à la ferme, elle doit faire attention. Odile l’observe en salivant, puis détourne le regard pour ne pas avoir l’air glouton. Ses yeux se posent sur le livre que Cécile est en train de lire.

  Tu lis La Petite maison dans la prairie? qu’elle demande à son amie.

Cécile est redescendue de son tabouret et se trouve maintenant devant son tiroir à ustensiles, une cuillère dans une main et, dans l’autre, quelque chose qu’elle semble vouloir cacher à Odile.

  Oui. Je nourris ma nostalgie.
  La mienne aussi! Quand j’étais enfant, ma mère m’a lu toute la série.
  Quoi?! Ta mère a pris le temps de te lire tout ça? Ça a dû prendre des années.
  Non. Je crois pas. Nous en lisions quelques chapitres chaque soir.
  Wow. Je suis trop jalouse. Ma mère était toujours tellement fatiguée à la fin de la journée. Puis, je vais te dire franchement, je pense qu’elle avait de la misère à lire. Chez nous, c’était mon grand-père qui lisait. Avant l’accident…

Cécile met deux cuillérées de café dans chaque tasse, verse de l’eau bouillante, ajoute deux cubes de sucre dans la tasse d’Odile et quatre dans la sienne, puis de la crème en abondance, de part et d’autre. Elle remue le tout avec sa cuillère, puis sort de sa manche une paille en silicone qu’elle dépose dans la tasse d’Odile.

  Non!!! T’as acheté une paille pour moi?! s’exclame Odile ébahie.
  Oui. Juste pour toi! Répond Odile, ravie de la réaction de son amie.
  Merci!
  Ça me fait plaisir, répond-elle en lui offrant son plus large sourire.

Les deux amies sirotent leur café tranquillement et grignotent les irrésistibles biscuits à l’avoine et aux raisins de Cécile.

  Ça doit être agréable de se faire lire des histoires par sa mère.
  Pas seulement par sa mère. Depuis que j’arrive plus à tenir un livre, j’écoute souvent des livres audio. C’est pas tout à fait la même chose, mais ça me permet de continuer à lire.

Odile ne se fait pas lire des récits, elle les lit. On ne cuisine pas pour elle, c’est elle qui cuisine. Elle ne se déplace pas en fauteuil roulant, elle marche. Ses aides sont une extension de sa personne.

  Ça doit être plaisant comme travail. Remarque que moi, je pourrais pas. Je lirais trop lentement et je n’aurais pas toujours le bon ton. Mais toi, je suppose que tu pourrais le faire.
  Oui. Je me débrouille bien. J’ai souvent songé à offrir mes services à l’école du quartier.

Cécile arrête de boire, de manger, de respirer, et lance à Odile un regard qui semble vouloir indiquer la venue d’une idée de génie. De sa bouche bée, elle produit un « Ha » qui vient tout confirmer.

  C’est comme ça qu’on va s’infiltrer!

Odile regarde Cécile en souriant, des points d’interrogation dans les yeux.

  Tu vas leur lire des histoires!

Odile garde le sourire, mais dans ses yeux les points d’interrogation se sont transformés en points de suspension.

  Okay. Es-tu bien avancée dans la lecture de ton livre?

***

Le but de cette chronique est de vous faire découvrir ce qui se passe derrière la porte de différentes personnes handicapées et de vous appeler à l’ouverture et à la solidarité. Cécile frappe à votre porte pour vous inviter à commenter ou à témoigner de vos expériences de vie en tant que personne handicapée ou non. Allez-vous ouvrir?

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