Marc-Éric Bouchard
Les propos de Marc-Éric Bouchard, chroniqueur sportif de Radio-Canada dans l’Ouest et le Nord, ont été recueillis lors d'entrevues pour le magazine Le Nénuphar.
(la suite du premier article)
… j’ai gagné.
Le déménagement et le début de la vie à deux
Nous venions tout juste de nous marier. Ma femme, qui n’avait jamais quitté Winnipeg, et qui est en plus une jumelle identique, entretenait des liens très forts avec sa famille et sa communauté. Pourtant, elle a accepté de sauter le pas lorsque je lui ai proposé de commencer notre vie commune à Calgary. Nous avons déménagé en mars 2001 et j’ai pris mon poste de commentateur sportif à Radio-Canada, que j’occupe encore aujourd’hui. Elle aime Calgary autant que moi, et nous avons une fille de 16 ans.

Mais vous vous déplacez beaucoup…
Oui, mon territoire couvre de Thunder Bay, en Ontario, jusqu’à Victoria, en Colombie-Britannique. J’essaie de garder contact avec les communautés de Vancouver, de Whitehorse, du Yukon, des Territoires du Nord-Ouest, de l’Alberta, de la Saskatchewan… Quand il y a des tournois du Brier, la Coupe Grey ou d’autres événements sportifs, je couvre aussi le Manitoba.
Et aujourd’hui? Vous avez atteint votre métier de rêve…
Oui, j’ai réalisé mon rêve. Ce que j’adore, c’est de pouvoir, chaque matin, m’adresser à une bonne partie de la francophonie de la moitié ouest du pays. Depuis 25 ans, j’entretiens ce lien avec celles et ceux qui écoutent Radio-Canada en français, de Thunder Bay à Victoria, en passant par le Grand Nord. Je me sens extrêmement privilégié de faire partie de leur début de journée.
Je commence la journée avec Patricia au Manitoba (Le 6 à 9), puis la Saskatchewan (Point du jour), l’Alberta et les Territoires du Nord-Ouest (Le café show), et enfin la Colombie-Britannique et le Yukon (Phare Ouest). Sans oublier les francophones de l’Ontario qui syntonisent le Manitoba : je pense aux gens de Sudbury, Fort Frances, Saint-Ignace, Thunder Bay… d’où je reçois souvent des commentaires. Je me sens vraiment chanceux.
Et le sport, c’est aussi un prétexte pour parler d’autres choses, parce que je suis curieux, je m’intéresse à tout. Parfois, je parle de la Journée nationale du beurre d’arachide ou d’autres sujets plus légers… et j’aime ça! Souvent, j’ai plus de réactions quand je parle de nourriture ou de ces journées thématiques que quand je parle de sports. Bien sûr, le sport reste important le matin, mais j’aime aussi sortir un peu de mon mandat, devenir une sorte de coanimateur avec les animateurs des quatre provinces de l’Ouest.
Ce métier, je l’adore. J’ai toujours aimé la radio. Je suis tombé dedans au Nouveau-Brunswick. Avec deux Acadiens, on avait lancé un concept inédit en Acadie : une émission matinale humoristique, Le toaster en folie en Acadie. On faisait des parodies de politiciens, d’acteurs, de vedettes. Il y avait cette énergie, cette bonne humeur matinale. On en a même tiré des CD et des cassettes qu’on vendait dans les épiceries et pharmacies acadiennes.
Ça a été l’élément déclencheur. J’aimais tellement ce média que j’ai décidé de tout faire pour gagner ma vie en travaillant à la radio.
Aujourd’hui, je fais un peu de radio, un peu de télé. Les fins de semaine, j’ai une chronique avec Cédrick Noufélé au Téléjournal Manitoba, et la même chose en Colombie-Britannique et en Alberta. Je réalise aussi des reportages télé pour RDI au besoin. Je participe au Retour de l’Ouest, une émission culturelle de retour à la maison les jours fériés… Bref, je touche à tout, et c’est ce que j’aime.
Et comment s’est passée la transition du français à l’anglais?
Ce sont mes années à Moncton qui m’ont sauvé. Même si l’Université de Moncton est francophone, à l’épicerie, on n’entendait pas un mot de français. Ça m’a formé. Quand je suis arrivé au Manitoba, mon anglais n’était pas parfait, mais j’avais déjà une bonne base, acquise auprès des anglophones du Nouveau-Brunswick. Je ne partais pas de zéro… parce que partir du Lac-Saint-Jean, c’est partir de zéro.

Cela dit, à mon arrivée dans l’Ouest, surtout au début, il y a 20-25 ans, j’ai ressenti une certaine animosité de la part de certains anglophones plus âgés. Ils voyaient une personne différente, qui parlait une autre langue. Ce n’était pas forcément de la haine, mais de la peur de l’inconnu. En plus, j’arrivais avec beaucoup d’énergie, ce qui pouvait déranger les esprits plus conservateurs. J’ai eu droit à des remarques désobligeantes, des « speak white ».
Heureusement, j’avais eu cette transition progressive au Manitoba, avec La Liberté, Saint-Boniface et la communauté francophone pendant cinq ans. Moi, le gars fier de sa langue et de sa culture, qui venait d’un endroit presque exclusivement francophone, j’aurais eu un plus grand choc en arrivant directement à Calgary. Mais grâce à ce passage par le Manitoba, j’ai pu m’affirmer, montrer que je faisais mon travail honnêtement, même si ce n’était pas dans la même langue. Ça a pris du temps… mais j’ai fini par gagner le respect. Et finalement, ça s’est bien passé, ma transition à Calgary.
(la suite au prochain numéro)