Marc-Éric Bouchard
Les propos de Marc-Éric Bouchard, chroniqueur sportif de Radio-Canada dans l’Ouest et le Nord, ont été recueillis lors d'entrevues pour le magazine Le Nénuphar.
(Suite du dernier article)
Avez-vous vécu des moments de découragement?
Il m’est parfois arrivé de me demander : pourquoi est-ce que je ne suis pas anglophone comme les autres? Pourquoi ma langue maternelle n’est-elle pas l’anglais? Parce que si ç’avait été le cas, je n’aurais pas toujours eu à me justifier, à expliquer que Radio-Canada en français, eh bien… le Canada est un pays bilingue, même si certains semblent l’oublier.
Et parfois, je l’admets, je me disais que ce serait plus simple en anglais. Parce que même si je fais de la télé, je suis surtout à la radio, et à Radio-Canada, on ne passe pratiquement pas de clips en anglais, sauf quelques cinq secondes ici et là dans les bulletins de nouvelles. Pour les entrevues, il nous faut des francophones, parce qu’il n’y a pas de sous-titres à la radio. Ça, les gens ne le comprennent pas toujours. Ils pensent que c’est moi qui traduis tout. Mais avoir un ou une athlète francophone, ça transmet tellement plus d’émotions, et l’aspect humain ressort bien davantage que dans une courte citation en anglais sur l’émotion d’un match.
Ça a pris un certain temps avant que les gens comprennent mon travail, qu’ils comprennent les besoins de la radio de Radio-Canada. Mais aujourd’hui, les gens savent un peu mieux à qui ils ont affaire. Cela dit, même si les choses ont évolué, j’ai encore souvent l’impression de devoir prouver que j’ai ma place. Nous ne sommes que deux francophones dans tout l’Ouest canadien à couvrir les sports, et ce n’est pas toujours facile. Certaines équipes professionnelles sont sensibles à cette réalité, d’autres beaucoup moins. Il faut toujours négocier, toujours être « un bon vendeur ».
Avez-vous subi une forme d’ostracisme, une méfiance liée à votre statut de Québécois francophone en milieu minoritaire?
Non, j’ai été chanceux. Avec ma personnalité de monsieur positif, de Monsieur Bonheur, j’étais un rayon de soleil pour tout le monde. Le fait que je vienne du Québec était souvent masqué par la lumière que je projetais. Et je dois dire aussi que le fait d’avoir épousé une Franco-Manitobaine a beaucoup aidé. Grâce à elle, à sa famille et à certains membres de ma propre famille établis au Manitoba, je faisais « partie de la gang ».
Et l’on a vite compris que je n’étais pas venu pour « voler des jobs », mais pour consolider et renforcer la présence francophone à Radio-Canada dans tout l’Ouest. Je suis un allié des Franco-Manitobains, des Fransaskois, des Franco-Albertains… des francophones de partout au pays. Les choses ont d’ailleurs beaucoup changé depuis mes débuts : à l’époque, plusieurs Québécois venaient travailler à Radio-Canada. Aujourd’hui, il y en a moins, mais davantage de collègues africains, européens, français ou belges. Comme moi, ils ne sont pas là pour prendre des emplois, mais pour contribuer au succès de notre média public.
Avez-vous un exemple de cette contribution?
Je préfère raconter comment nous, les francophones, nous nous démarquons. Aux Championnats du monde d’athlétisme de 2001 à Edmonton, il y avait un athlète marocain, Hicham El Guerrouj, déjà très médaillé. C’était l’époque d’avant Internet. Tous les grands journaux étaient présents : USA Today, New York Times, Washington Post, etc.

Cet athlète venait de remporter une course spectaculaire. Et là, tous les journalistes américains venaient me voir pour savoir ce que Hicham avait dit — lui qui parlait l'arabe et le français, mais pas l'anglais. J’ai alors compris que mon bilinguisme me donnait un avantage énorme sur ces journalistes pourtant renommés, mais unilingues.
Je les respectais beaucoup, et ce jour-là, je me suis senti valorisé. Mon anglais n’était pas encore très bon, mais j’ai pu bien communiquer avec eux. Et je me suis dit : « Ouah! Quel beau métier! » Surtout quand on peut servir de pont entre les cultures, entre les langues.
Encore aujourd’hui, raconter cette anecdote me fait sourire. Le petit Marc-Éric Bouchard, qui débutait dans le métier, se retrouvait à côtoyer de grands journalistes américains… et à leur venir en aide! Ça m’a rappelé à quel point être francophone est un atout précieux dans ce milieu si compétitif.
Le « petit » Marc-Éric… C’est ainsi que vous vous perceviez?
Oui, face à ces journalistes chevronnés, moi qui venais tout juste d’arriver, qui ne connaissais pas encore bien le milieu, je me sentais tout petit. J’étais habitué au soccer, aux sports d’hiver, au hockey surtout… et me voilà dans une discipline que je connaissais à peine. Et pourtant, j’étais utile.
Ce jour-là, et chaque fois que je vis des moments difficiles, où je suis le seul francophone, où je ressens des préjugés… je me répète : « Bon, cette fois-ci, le francophone s’est encore démarqué! » Cet événement me donne encore de l’élan. Il me motive. Il me rappelle pourquoi j’aime tant ce métier.
Bien sûr, en 25 ans de carrière, j’ai rencontré plusieurs athlètes extraordinaires…
(la suite au prochain numéro)