Marc-Éric Bouchard
Les propos de Marc-Éric Bouchard, chroniqueur sportif de Radio-Canada dans l’Ouest et le Nord, ont été recueillis lors d'entrevues pour le magazine Le Nénuphar.
(Suite du dernier article)
… évidemment, en 25 ans de carrière, j’ai rencontré plusieurs athlètes extraordinaires, comme Mario Lemieux, Wayne Gretzky, pour ne mentionner que les plus connus dans le monde du hockey. Aux Jeux olympiques de Vancouver, j’ai aussi interviewé le prince de Monaco. Il était là comme membre de la Fédération internationale de bobsleigh, parce qu’il est lui-même bobeur. Faire une entrevue avec un prince, c’est quelque chose! Il y avait tout un entourage pour s'assurer que je pose les bonnes questions.
C’est une rencontre qui m’a marqué, tout comme celle avec le légendaire entraîneur russe Viktor Tikhonov, qui a remporté plusieurs titres avec l’URSS, à l’époque de l’Armée rouge. Pour lui, j’avais besoin d’un interprète, car il ne parle que le russe. Et faire une entrevue avec un interprète, c’est très particulier : on ne sait jamais exactement ce que l’interprète dit à l’autre personne. C’était donc une entrevue assez unique, elle aussi, aux JO de Vancouver en 2010.
Ce sont des moments marquants comme ceux-là qui nous poussent à nous dépasser. Quand on rencontre des personnalités de haut niveau, il faut apprendre à poser les bonnes questions, pour ne pas se faire remettre à notre place ou entendre : « Quelle question niaiseuse! » C’est ça qu’on cherche à éviter comme journaliste, n’est-ce pas? Ce serait le pire commentaire à recevoir. Il faut faire ses recherches, trouver les meilleures questions possibles. Alors quand tu parles à Tikhonov, au prince de Monaco, à Mario Lemieux ou à Wayne Gretzky, tu veux être prêt. Toujours.
C’est ce réflexe que j’ai développé dès le début de ma carrière : bien me préparer. Que ce soit pour une vedette du sport professionnel ou pour une jeune du sport amateur, comme une judoka de 14 ans ou un jeune joueur de soccer, je dois être tout aussi bien préparé. C’est cette rigueur-là qui a forgé mon éthique, et ma réputation, depuis toutes ces années dans ce beau métier.
Que retenez-vous de vos rencontres avec de grands joueurs de l’histoire du hockey?
J’ai suivi la carrière de Mario Lemieux, considéré comme l’un des meilleurs joueurs de la Ligue nationale de hockey (LNH), que l’on surnommait « Le Magnifique » en raison de son immense talent. J’ai eu la chance de le rencontrer en tête à tête à plusieurs reprises, surtout lorsqu’il était capitaine de l’équipe nationale du Canada. Il s’agissait d’entrevues d’environ quatre à cinq minutes.

Photo : La Presse Canadienne / Association olympique canadienne /
Bibliothèque et Archives Canada (2002)
Je trouve ce joueur très impressionnant, d’abord par sa stature (1,93 m), ensuite parce que ce n’était pas naturel pour lui de parler aux médias. Il le faisait le moins possible. Donc, lorsque j’avais la chance de « l’avoir », je devais en profiter au maximum, vu la rareté de ces moments. Au fil de nos rencontres, j’ai réussi à gagner sa confiance, ce qui a ouvert la porte à de belles discussions.
Pour Wayne Gretzky, qu’on appelait « La Merveille », c’était tout le contraire : il était très à l’aise dans ce milieu. Il travaillait déjà pour des chaînes de télévision américaines, il est même devenu analyste à la télé; il a commercialisé son propre vin, et sa femme est une actrice hollywoodienne… Bref, il était facile d’accès et avait toujours des réponses prêtes. Par contre, ce n’était pas aussi simple d’entrer dans son intimité que dans celle de Mario Lemieux, un p’tit gars de Ville-Émard au Québec, qui était plus près de mes propres origines.

Wayne Gretzky aux Jeux olympiques d’hiver de 2006 à Turin, en Italie.
Photo : Kris Krüg, CC BY-SA 2.0, Wikipédia
J’ai adoré faire des entrevues avec ces deux joueurs au caractère et au parcours si différent. Et c’est ça, la beauté de ce métier : rencontrer des personnalités très diverses et découvrir leur histoire, le milieu familial d’où ils viennent, ce qui les a menés là où ils sont dans leur carrière. C’est sans aucun doute l’aspect humain et émotif qui m’attire le plus dans ce que je fais. Mario Lemieux exprime beaucoup plus d’émotions que Wayne Gretzky, dans sa façon d’être et de communiquer, et en plus, cela se passe en français. Parfois, on a des affinités avec certains athlètes et moins avec d’autres, et c’est ce qui fait la richesse et la diversité des entrevues que j’ai pu réaliser au fil des années.
Pour revenir à Mario Lemieux, il ne s’est jamais impliqué politiquement, sa passion n’a jamais faibli, il a survécu à un cancer et est revenu dans la Ligue nationale. Par la suite, quand il est devenu propriétaire des Penguins de Pittsburgh, il a pris Sidney Crosby sous son aile, l’a même hébergé… Je me sens davantage attiré par le côté humain de son histoire que par celui de Wayne Gretzky et son univers plus prestigieux.
C’est le talent et l’imposant gabarit de Mario Lemieux qui lui ont permis d’entrer dans la ligue nationale, puis de s’y imposer grâce à ses prouesses sur la glace. Je trouve remarquable qu’il ait su utiliser sa force physique pour dominer ses adversaires, alors que souvent, des gens dotés de nombreux talents n’arrivent pas à en faire fructifier un seul. Lui, malgré quelques difficultés à l’école et un naturel moins porté vers les communications, s’est concentré sur son talent de hockeyeur et sur sa passion, et c’est ça que je retiens de lui. C’est un homme de peu de mots, mais il a su transmettre sa passion à bien des gens. Et si Sidney Crosby connaît aujourd’hui une carrière extraordinaire, c’est, à mon avis, en grande partie grâce au soutien et à l’encadrement de Mario Lemieux à ses débuts à Pittsburgh. C’est peut-être là ce qui le distingue de Wayne Gretzky qui, malgré ses multiples talents, a peut-être moins les qualités d’un « grand frère ».
J’ai peut-être réalisé 500 entrevues dans ma vie. Si j’ai choisi de parler de ces deux joueurs aujourd’hui, c’est parce qu’ils sont connus et célébrés comme les deux plus grands joueurs de l’ère moderne. J’ai aussi fait des entrevues avec Guy Lafleur, Yvan Cournoyer, Mario Tremblay, Maurice Richard… mais ça, c’est pour une autre histoire! 😉
Et là, on parle de sport, mais j’ai rencontré bien des gens au cours de ma carrière…
(la suite au prochain numéro)



