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Un dimanche après-midi... (suite)

Que faire contre le temps qui court si vite? C’est un sujet très sérieux, car tout le monde assiste, impuissant, aux jours qui se suivent et se succèdent à un rythme frénétique tel un train qui ralentit à peine à la gare et appelle les passagers à monter en toute vitesse, à « l’attraper au vol », ou à rester à se lamenter sur le quai.

Rester à se lamenter sur le quai est l’apanage des paresseux! Lounis Aït Menguellet, notre poète vedette que j’aime tant citer à l’instar de tous les miens, disait :

Si seulement on pouvait se cramponner aux jours
Pour qu’on ait le temps de la nuance
Et qu’on donne à chacun l’attention qu’il mérite

Les oisifs et paresseux ainsi disent souvent
Si seulement...
Et le temps continue son chemin

J’implore votre indulgence, car la traduction est de moi, mais l’idée générale est là.

Que faire donc contre cela? Il doit bien y avoir une solution.

Nabil la connaît! Il l’a apprise après son arrivée au Canada. Il l’a vue dans la société d’accueil. Il l’a vue chez les gens et les organismes étatiques!

Il s’agit d’admettre et d’accepter la réalité du temps qui court, de ne point faire l’autruche, de courir aussi vite que lui, de l’anticiper, de planifier absolument tout, de planifier des mois à l’avance.

L’année prochaine c’est demain, autant alors en parler aujourd’hui, comme ça on ne sera jamais pris au dépourvu, et l’on ne passera plus notre temps à se lamenter et à ajouter de l’amertume à une vie déjà assez stressée!

Et puis on n’a cure du temps qui court quand un événement important se profile à l’horizon, quand le fruit d’un investissement, d’une planification est en maturation, d’où l’intérêt de toujours penser à demain, d’avoir des projets à l’infini, afin de défier le temps et de ne point se lamenter pour sa course!

Le Dʳ Boudarene, un psychiatre algérien, a écrit un jour : « Je fais toujours des projets, pour ne jamais me dire que mon avenir est derrière moi »...

Nabil n’avait pas vu sa semaine passer, il voulait qu’elle passe vite! Depuis ce dimanche de l’heureuse rencontre au parc Provencher, il ne faisait que penser à l’après-midi dominical d’après. La fille qui apprivoisa l’écureuil, le subjugua, le sublima, l’obséda, il ne pensait qu’à elle, ne voulait voir qu’elle, et ne voulait voir la beauté dans aucune autre fille! « C’est une crème hydratante, cette femme », disait Jamel Debbouze à Monica Bellucci...

Le dimanche donc à 17 h tapantes il fut là, au parc, sur LE banc, beau comme le jour, parfumé, coiffure de la veille, jogging immaculé aux couleurs de l’équipe algérienne de soccer, et... un sac de noisettes à donner en offrande à l’écureuil sans l’intervention duquel il n’aurait jamais vécu tout ça!

Éternelle fut l’attente, mais celle qui habitait ses pensées finit par apparaître. Il la voyait progresser vers lui telle une gazelle, fidèle à elle-même, à sa coiffure, à son tee-shirt vert bouteille et à son pantacourt. Les yeux au sol et la démarche furtive. Elle ne faisait pas cas des enfants qui jouaient dans le jet d’eau et allait droit vers LE banc, auquel notre ami Nabil l’avait précédée (il faudrait penser à prendre des notes).

Elle illumina son début de soirée avec ce sourire aussi beau que discret qu’il avait déjà admiré la semaine d’avant, et un petit « bonjour » dont il décida d’enregistrer l’intonation quelque part dans son lobe temporal afin de le réécouter chaque matin jusqu’à la fin de ses jours!

— Tu es revenue voir l’écureuil? demanda-t-il.
— J’insiste? dit-elle, car elle n’avait pas compris.

Il n’avait jamais connu cette expression avant.

— Je te demandais si tu revenais voir l’écureuil.
— Oui, entre autres! dit-elle, petit sourire et sourcils tirés vers le haut.

Il capta ce « entre autres », il n’en croyait pas ses oreilles.

— Assieds-toi en attendant que notre ami apparaisse. Tu t’appelles comment?
— Erin.
— Ça vient d’où?
— D’Irlande, ça signifie Paix, entre autres! Et toi?
— Nabil.
— Ça vient d’où? s’enquit-elle en s’esclaffant.
— Ça vient d’Algérie et ça veut dire « Noble ».
— Tu viens d’Algérie?
— Oui, je suis nouvel arrivant, ça fait une année que je suis là.
— Un seul hiver? T’en as de la chance. Comment c’était?
— Magnifique. J’aime la sédentarité et la saison qui l’oblige. Tu es née ici?
— Oui, mes parents, grands-parents et arrière-grands-parents aussi. Mon arrière-grand-mère faisait partie de la communauté des Sœurs Grises qui a fondé l’Hôpital de Saint-Boniface. C’est à elle qu’appartenait ce pendentif.
— Incroyable. Ton histoire est unique et magnifique.
— Les histoires de tout le monde dans cette ville sont uniques et magnifiques. Il suffit de tendre l’oreille. Toi, par exemple, Nabil, raconte-moi ta vie d’avant.

Il n’avait pas d’attachement particulier à son prénom, mais quand Erin le prononça, il lui plaisait!

— Paisible, mais sans réelles perspectives. Modeste et comblé. Je n’ai jamais eu de montre et grand Dieu comme j’avais le temps! J’étais bien entouré et j’étais important. Je passais les hivers cléments de la Méditerranée à contempler ma montagne enneigée et mes étés chauds à lire sous mon citronnier, autres saisons en gardant un œil sur ma montagne. J’étais heureux, oui, je l’avoue.

— Et qu’est-ce que tu es venu chercher au Canada?
— De réelles perspectives d’avenir, l’aventure, je suis venu vivre parmi les gens les meilleurs au monde. Je suis également venu chercher le sirop d’érable, les écureuils, les lacs gigantesques et les filles belles. Je rigole...

Il rit, elle rougit.

— Parle-moi de ta montagne.

Ses yeux s’illuminèrent :

— Majestueuse. Pour mes ancêtres ce fut une divinité, ils s’adressaient à elle et lui parlaient souvent, elle leur donnait sa force et sa protection. Me concernant, elle me rappelle mes ancêtres, leur bravoure, leur courage, et le système de valeurs qui les guidait et leur permettait de vivre dans la droiture. J’essaye de rester fidèle à ces valeurs...

— Valeurs religieuses?

— C’est beaucoup plus ancien, beaucoup plus profond. L’anthropologue Serge Bouchard a raconté l’histoire d’un autochtone canadien qui avait dit un jour : « Nous sommes trop spirituels pour être religieux. » J’aime nous voir dans ce genre.

La culture du jeune homme séduisit Erin. Son engagement pour rester fidèle à son système de valeurs le rendit admirable à ses yeux. C’est son pendentif qu’elle avait coutume de regarder et de caresser pour se rappeler les valeurs de bonté, de don de soi et de retenue que se léguaient les femmes de sa lignée depuis son arrière-grand-mère, la Sœur Grise à qui il appartenait.

Elle allait lui poser une autre question pour essayer de le cerner davantage quand soudain son téléphone sonna.

— Oui, bonne maman, ça va? ...Ah! OK, je vois, j’arrive tout de suite... Non, tout de suite, je suis au parc. Pardon, je dois te quitter, grand-mère m’appelle.
— On se voit dimanche prochain?
— Même endroit, même heure.
— Passe le bonjour à ta bonne maman, se hasarda-t-il.
— Euuh, OK. Je vais essayer...

Elle s’en alla. Il n’y a pas plus consternant que la vue d’une femme qui vous tourne le dos. Mais cette fois c’est différent. La semaine entrante passera encore très vite.

Oui, mais où était passé l’écureuil?

À suivre...

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