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Éclipse

C’était un parc comme tant d’autres, avec ses arbres ombragés, ses plates-bandes colorées, ses allées sinueuses, ses bancs accueillants. Il y avait même un kiosque à musique, un petit moulin à vent et un étang au centre. À première vue, rien de particulier. Et pourtant, ce parc était unique. Témoins d’un passé foisonnant et d’une communauté vibrante, ses allées avaient vu défiler des générations d’habitants, réunis par une foule d’activités.

Les uns profitaient du soleil, d’autres faisaient du yoga ou du vélo, tandis que les enfants riaient sur les balançoires et les manèges. Les passionnés de culture lisaient, écrivaient, peignaient. Des pique-niques se déroulaient un peu partout, entre hot-dogs, crèmes glacées et discussions animées. Chacun trouvait sa place, et les échanges, parfois vifs, se faisaient toujours dans un esprit d’ouverture.

Mais au fil du temps, l’harmonie s’est fissurée. Le parc, jadis lieu de rassemblement, est devenu un théâtre de tensions. Des querelles éclataient pour des broutilles. Des couples s’y disputaient, les élèves de deux écoles voisines – l’une ouverte et diversifiée, l’autre plus fermée – s’y affrontaient. Les débats sur l’environnement, l’identité ou les conflits à l’étranger dégénéraient. Le climat était devenu pesant.

L’installation d’une tente par un groupe de sans-abri près de l’étang n’a rien arrangé. Certains résidents y voyaient une atteinte à la sécurité, d’autres un acte de survie. Le parc n’était plus ce havre de paix qu’on avait tant aimé.

Puis est venue l’annonce d’une éclipse solaire totale. L’événement allait traverser leur ville – et le parc semblait être l’endroit idéal pour l’observer. Très vite, les autorités ont organisé une grande fête d’observation. Mais les sans-abri, eux, ont vu dans cette soudaine attention une tentative à peine voilée pour les chasser.

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Malgré les tensions, chacun a préparé ses lunettes spéciales. Les médias s’emballaient, et l’effervescence était palpable. Même ceux qui évitaient désormais le parc s’y sont rendus ce jour-là, attirés par la promesse d’un spectacle céleste unique.

Le matin de l’éclipse, l’atmosphère avait changé. Le soleil brillait dans un ciel limpide, et les habitants affluaient, le cœur un peu plus léger. Sur place, des regards se croisaient, des sourires timidement échangés. Ceux qui s’étaient éloignés retrouvaient les visages d’anciens amis.

Les sans-abri, en marge du rassemblement, observaient. Mais lorsque l’ombre de la lune a commencé à grignoter le disque solaire, un silence sacré est tombé. Tous, sans distinction, ont levé les yeux vers le ciel. Des exclamations de surprise, des murmures d’émerveillement, puis des applaudissements. Pendant ces quelques minutes, il n’y avait plus de divisions. Juste une humanité réunie sous un même ciel.

Lorsque la lumière est revenue, plus chaude, plus douce peut-être, personne ne voulait partir. On reprenait doucement les conversations, on renouait des liens oubliés. Et soudain, un groupe d’enfants de l’école multiculturelle a formé un cercle autour de la tente, chantant une chanson apprise pour l’occasion. Un geste simple, mais chargé de sens. Une façon de dire : vous faites partie de nous.

Un promoteur immobilier, témoin de la scène, a été touché. Ému par cette union inattendue, il s’est approché de la tente et a proposé aux sans-abri un logement dans un immeuble qu’il venait de rénover. La foule a applaudi, portée par l’élan d’espoir.

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L’éclipse s’était terminée, mais elle avait laissé une trace. Dans les jours suivants, le parc a retrouvé ses couleurs. Les querelles paraissaient soudain bien dérisoires. Un souffle nouveau parcourait les allées.

Et, sur les balançoires, deux enfants – l’un de l’école multiculturelle, l’autre de la tente – riaient aux éclats, défiant le ciel avec leurs pieds. Le soleil brillait. Les oiseaux chantaient. Et tout semblait à nouveau possible.

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