top of page

Les douze jours d’un Noël international

Jacques Ouellet, ambassadeur du Canada auprès de l’UNESCO, et son épouse Alice Giroux, interprète auprès de l’ambassade du Canada, s’étaient installés six mois auparavant à Paris avec leurs deux enfants, Suzanne, onze ans, et Mathieu, sept ans.

Noël approchait.

Au début de la nouvelle année, Jacques présiderait un congrès important concernant les influences de la culture sur la paix mondiale. Plutôt que de passer le temps des fêtes au Canada, comme d’habitude, Jacques et Alice avaient décidé de rester en France, hôtes d’Étienne Rodin, un collègue de Jacques à l’UNESCO, impliqué lui aussi dans le congrès culturel.

Étienne et sa femme, Line Duparc, pâtissière reconnue à Paris, avaient une fille, Manon, camarade de classe de Suzanne. Leur fils aîné, Olivier, participait à un échange scolaire au Chili. Le seul compagnon de jeu de Mathieu, donc, en ces journées, serait Boucles, le caniche blanc des Rodin. Mais peu importait : le garçon énergique adorait les animaux.

Le 21 décembre, les deux familles quittèrent Paris à l’aube. Les champs givrés, les villages encore endormis, tout annonçait un Noël de rêve. Entouré d’arbres anciens, le manoir des Rodin les accueillit dans une chaleur simple et sincère.

Après avoir déchargé leurs autos et pris un délicieux déjeuner, les familles se séparèrent : les adultes regardaient un film culturel dans le séjour; les filles visionnaient leurs vidéos préférées dans leur chambre; Mathieu et Boucles allaient gambader dehors jusqu’à être à bout de souffle.

Puis, pendant que Boucles faisait une sieste dans le séjour, Mathieu remonta au grenier pour jouer avec les vieux jouets d’Olivier. Dans un grand coffre en chêne, il y avait des trains, avions et autos miniatures, toupies, marionnettes et puzzles en abondance.

Mais un objet retint plus que les autres son attention : une flûte à bec en bois. Mathieu était fou de joie, car il aimait beaucoup la musique. Approchant la flûte de ses lèvres, il souffla doucement. Un son clair s’éleva dans la chambre.

Comme par enchantement, un oiseau bleu se posa sur le rebord de la fenêtre, en attente. Mathieu resta immobile en voyant cela. Mais l’oiseau ne s’envola pas, à son grand étonnement. Il pencha la tête, comme pour écouter sa mélodie invitante.

Le garçon rejoua quelques notes improvisées et l’oiseau répondit d’un gazouillis si juste qu’ils formèrent un duo parfait. Puis l’oiseau s’envola, revenant aussitôt avec une minuscule branche d’érable dans son bec.

Mathieu la prit et, fermant les yeux, sentit la chambre disparaître autour de lui. Il faisait un bref voyage dans son Québec natal.

Le long d’un chemin sinueux, la neige craquait sous ses raquettes. Autour de lui, la forêt d’érables s’étendait à perte de vue. Mathieu sentait l’odeur du bois chauffé, du sirop et des crêpes dorées. Non loin, dans une hutte en rondins, des danseurs frappaient des cuillères de bois en rythme, tandis qu’un castor s’activait sur une rivière gelée.

Mathieu assistait enfin à une saisissante partie de hockey jouée sur une patinoire à ciel ouvert. Cependant, au moment même où un jeune joueur était sur le point de marquer un but extraordinaire, la foule poussant des cris d’excitation, l’aboiement d’un chien réveilla Mathieu de son voyage québécois.

Boucles remuait la queue près du coffre à jouets. Mais l’oiseau bleu avait disparu. La flûte restait tiède entre les doigts de Mathieu, tandis que la petite branche d’érable gisait encore sur le plancher, invisible à l’animal.

Le lendemain, après une autre promenade énergique avec Boucles, Mathieu retourna dans la mansarde, prenant avec enthousiasme la flûte tellement captivante. Et quand il en joua, l’oiseau revint, à son grand plaisir, lui apportant une branche de figuier banian, arbre sacré de l’Inde.

Comme la veille, Mathieu ferma les yeux et, en un clin d’œil, la lumière changea. Il se retrouvait au bord du Gange, où des femmes en sari étendaient des tissus éclatants. Plus loin, un joueur de sitar faisait vibrer les cordes d’une mélodie lente. Dans une maison flottante, une famille l’invita à goûter un plat parfumé de pommes de terre et d’épices.

Chaque son, chaque couleur semblait danser devant Mathieu, et lorsqu’il rouvrit les yeux, la chambre du manoir l’attendait, baignée de silence. L’oiseau, encore une fois, s’était envolé.

Le 23 décembre, après un autre duo mélodieux dans le grenier, l’oiseau bleu apporta à Mathieu une petite branche de hêtre. Il en avait déjà vu beaucoup à Paris. Voyant cela, il se sentit prêt à faire un autre voyage. Il ferma les yeux et se retrouva au cœur d’un vallon enneigé en Suisse.

Mathieu apprenait à yodler avec un berger, goûtant du chocolat fondu et du fromage tout juste affiné. Le lac Léman miroitait entre les montagnes, et les cloches des vaches tintaient doucement dans les champs. Ce soir-là, en regagnant sa chambre, Mathieu se sentait comblé, comme si les frontières du monde venaient de s’ouvrir devant lui comme les ailes d’un oiseau.

81537306_l.jpg

La veille de Noël, la maison entière des Rodin vibrait d’agitation. Les deux familles passaient la matinée à rendre visite aux voisins et à recevoir les leurs. Un véritable va-et-vient animait le manoir orné d’étoiles, d’anges, de couronnes, de nœuds de rubans et de guirlandes de Noël.

L’après-midi, tandis qu’Alice et Line préparaient le dîner en partageant leurs recettes favorites, les hommes se relayaient dehors pour couper du bois pour la cheminée, discutant de leur congrès à venir. Pendant ce temps, dans leur chambre, les filles montaient un puzzle géant, bavardant d’école et d’amis.

Mais dans le tumulte joyeux de la journée, Mathieu s’était éclipsé. De retour à la mansarde, il ouvrit la fenêtre et souffla avec passion dans sa flûte. L’oiseau bleu arriva presque aussitôt, porteur d’une aiguille de sapin.

Souriant radieusement, Mathieu n’en croyait pas ses yeux. Prenant l’aiguille, il ferma les yeux et se retrouva aussitôt chez ses grands-parents, à Québec. Avec sa sœur et ses jeunes cousins, il décorait un beau sapin de boules rouges, vertes et blanches et d’étoiles dorées. Il observait son grand-père poser un bel ange au sommet du sapin, protecteur de la famille. Il grignotait des biscuits faits maison et sirotait un chocolat chaud aux guimauves.

Lorsque Mathieu rouvrit enfin les yeux, après son voyage familial, la nuit était tombée sur la campagne normande. Les chants de Noël montaient du salon. Mathieu posa la flûte, le cœur léger. Il se sentait chez lui, partout dans le monde.

Le matin de Noël, la campagne autour de Rouen baignait dans une lumière féerique. Après avoir déjeuné et ouvert leurs cadeaux, les deux familles se rendirent dans une magnifique église gothique près du manoir pour assister à la messe de Noël.

 

Rayonnant d’exubérance et de solennité, le lieu de culte rendait sublimement la gloire à Dieu. Du chœur se répandait une musique divine. À travers les vitraux multicolores filtrait la lumière brillante du soleil, illuminant l’église de manière exaltante.

 

Ce qui frappa particulièrement le jeune Mathieu, cependant, fut la crèche de figures d’argile dans l’un des transepts. Semblant vivants, les personnages grandeur nature racontaient une histoire de Noël marquante au fil des siècles. Les yeux écarquillés, Mathieu fixait ce spectacle presque théâtral, entrant dans l’intrigue vieille de plus de deux mille ans.

 

Plus tard, tandis que les femmes mettaient la dernière main au dîner de Noël dans la cuisine et que les hommes observaient la réserve de vins dans la cave, les filles regardaient dans le séjour un film de Noël mettant en scène des patineurs artistiques. Dans le grenier, Mathieu recréait, à l’aide d’une branche de cèdre apportée par l’oiseau bleu, l’histoire de Noël.

 

C’était le jour même de la naissance de l’Enfant Jésus, et Jésus, Marie, Joseph, les anges, les bergers, les trois Rois mages et les animaux étaient tous là, à sa grande joie, pour lui représenter la scène d’autrefois. Mathieu accompagnait une foule de fidèles venant de toutes directions à Bethléem adorer le Messie qui venait de naître. Il faisait noir, mais à l’est, dans le ciel, resplendissait une étoile hors de l’ordinaire, signe manifeste de l’amour éternel de Dieu pour son Fils unique.

Le reste du temps des fêtes, Mathieu fit avec l’oiseau bleu une visite éclair à six pays différents, apprenant un éventail de faits époustouflants.

 

Une branche d’eucalyptus le conduisit en Australie, une feuille de palme au Costa Rica, une branche d’acajou en Tanzanie, une branche de ginkgo en Chine, une branche d’épinette rouge en Norvège et une branche de quebracho en Argentine.

 

Et chaque pays représentait pour Mathieu un périple de trouvailles inconcevables : plats et boissons appétissants à savourer, parfums exotiques à humer, vêtements intéressants à porter, culture multiforme à apprécier, paysages pittoresques à parcourir, géographie à couper le souffle à explorer, flore et faune étonnantes à découvrir, habitudes singulières à comprendre, histoire marquante à pénétrer, temps variable à éprouver… tout en un clignement de paupières.

 

Mathieu découvrait aussi, émerveillé, que chaque pays avait son rythme, sa personnalité, sa manière d’aimer la vie. Où qu’il aille, ses sens restaient en éveil. Le monde devenait toujours plus petit, plus ouvert, toutes ses destinations à portée de main.

 

* * *

Le jour de l’An était le dernier jour du temps des fêtes avant que les deux familles ne doivent retourner à Paris. Ce serait, donc, le dernier voyage international entre Mathieu et le bel oiseau bleu. Mais cette fois, quand Mathieu appela son petit ami ailé avec la flûte à bec en bois, il arriva accompagné d’une camarade : une colombe blanche portant une petite branche d’olivier dans son bec.

 

L’expérience musicale serait à trois aujourd’hui. Et lorsque Mathieu, l’oiseau bleu et la colombe blanche se mirent à siffler, gazouiller et roucouler ensemble, ils répandirent une harmonie des plus ravissantes dans la chambre.

 

Puis, la branche d’olivier à la main et les yeux fermés, Mathieu fut immédiatement transporté dans un endroit spécial où tous les arbres du monde poussaient dans un sol fécond. Chaque oiseau de la planète se posait sur le sol ou se perchait sur les branches, qui s’entremêlaient comme des bras.

 

Autour de la forêt d’arbres et d’oiseaux chanteurs, de nombreux enfants de chaque pays, race et religion entonnaient, dans une multitude de langues, un hymne à la paix. L’oiseau bleu était perché sur le bras droit de Mathieu; la colombe blanche les survolait, la branche d’olivier de nouveau dans son bec.

 

Tandis que Mathieu se plongeait dans cette émotion forte et bienfaisante, un coup frappé à la porte le ramena à la réalité. Étienne venait l’avertir : les deux familles allaient faire un tour en calèche tirée par des chevaux à travers les champs hivernaux. Par la fenêtre entrouverte, Mathieu entendait les hennissements des animaux et les tintements des grelots. Il attendait cette promenade empreinte d’histoire depuis quelques jours.

 

Depuis douze jours déjà, Étienne entendait venir du grenier les sifflements de la flûte à bec et les pépiements du bel oiseau bleu. Il se souvenait bien de ses propres voyages prodigieux avec ce même volatile singulier et dans cette même chambre mansardée. Plus tard, son fils Olivier avait vécu les mêmes aventures extraordinaires.

 

Étienne et Mathieu se regardèrent fixement pendant quelques instants, partageant l’humeur exaltante de Noël, de paix et d’amour. Le garçon tenait toujours dans une main la flûte à bec en bois et dans l’autre la branche d’olivier.

 

Puis Étienne dit à Mathieu qu’il pourrait emprunter encore quelque temps l’instrument enchanteur, afin de faire non seulement d’autres voyages enrichissants avec son petit ami ailé, mais aussi de mieux comprendre les différences — et surtout les similitudes — entre les peuples du monde.

 

Rempli d’encouragement, Mathieu remit à Étienne la petite branche d’olivier, désormais bien réelle, afin que, lors du congrès de l’UNESCO, on cherche par la culture la même paix que les enfants et les oiseaux avaient vécue dans la forêt d’innombrables arbres.

 

Partant quelques minutes plus tard en calèche avec leurs familles, homme et garçon échangèrent des regards et des sourires entendus, liés inextricablement dans leurs pensées et leurs sentiments. Levant les yeux, ils virent planer au-dessus de la calèche un petit objet bleu familier, qui guidait leur parcours d’espoir.

 

Liste de tous les articles de Entre les lignes.jpg
bottom of page