Renaître des cendres : la cathédrale de Saint-Boniface, mémoire et modernité
Commençons notre série sur les œuvres d’Étienne Gaboury, au cœur du quartier francophone de Saint-Boniface, là où se croisent mémoire, identité et spiritualité.
Parmi tous les projets d’Étienne Gaboury, la cathédrale de Saint-Boniface occupe une place centrale. Plus qu’un lieu de culte, elle est un symbole vivant du passé et du renouveau. Je vous propose aujourd’hui de lever les yeux vers ce chef-d’œuvre où se rencontrent pierre ancienne et modernité, pour comprendre comment Gaboury a su faire dialoguer les époques dans un même geste architectural.
Fondée en 1818 par le Père Provencher, la cathédrale de Saint-Boniface s’élève sur un site chargé d’histoire, témoin de la présence catholique francophone en terre manitobaine. Au fil des siècles, plusieurs églises s’y sont succédé, jusqu’à la majestueuse cathédrale de 1908, partiellement détruite par un incendie en 1968. Plutôt que de reconstruire à l’identique, Étienne Gaboury propose alors un geste audacieux : intégrer les ruines dans une architecture nouvelle, en respectant le passé tout en projetant l’avenir.
Gaboury voyait dans les ruines non pas une fin, mais un point de départ. « Nous ne cherchons pas à reconstruire l’église ancienne », disait-il. « L’incendie fait partie de son histoire. » La nouvelle cathédrale est donc conçue comme une composition en équilibre entre mémoire et création.
Le calcaire Tyndall, pierre locale et matériau commun aux deux structures, sert de lien visuel et symbolique. À l’intérieur des murs anciens, Gaboury insère une structure contemporaine marquée par des volumes angulaires, un toit incliné, et une toiture en bois qui capte la lumière naturelle. L’effet est saisissant : le visiteur passe à travers un espace à ciel ouvert, entre les vestiges, à un lieu intime où la lumière semble couler du ciel jusqu’à l’autel.
En réintégrant les ruines au lieu de les effacer, Gaboury pose un geste d’humilité et de continuité. L’architecture devient mémoire vivante, capable de porter les blessures du passé tout en incarnant un souffle nouveau. Elle devient un message offert à la communauté : celui d’une foi enracinée, mais toujours en mouvement.
L’accès, entre passé et présent
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À travers ces deux prises de vue, on découvre comment Étienne Gaboury a su relier l’ancien accès à la nouvelle entrée, en conservant les murs d’origine (1905-1908) et le pavé historique. Cet espace semi-ouvert agit comme un sas symbolique : il invite le visiteur à franchir un seuil entre la mémoire collective et l’élan vers l’avenir. Gaboury ne cherche pas à effacer les cicatrices du feu de 1968, mais à les sublimer. Ici, l’architecture devient un passage où chaque pierre raconte un fragment d’histoire.
La pierre, un langage de continuité


Ces deux prises de vue explicitent le choix audacieux de Gaboury de prolonger le travail de pierre sur les façades contemporaines. Fidèle au calcaire Tyndall, pierre locale emblématique, l’architecte respecte la matière tout en la réinterprétant. Cette continuité révèle une volonté de dialogue : relier le passé monumental à l’identité renouvelée du lieu. Chaque bloc de pierre porte le souffle d’une mémoire ancienne, tout en s’inscrivant dans un récit architectural résolument tourné vers le futur.
La façade originelle, témoin du temps

Ici, la façade d’origine, avec ses colonnes massives et ses chapiteaux sculptés dans la pierre manitobaine, se dresse comme un grand livre ouvert sur le passé. Inspirée des styles néo-roman et byzantin, elle ancre la cathédrale dans un vocabulaire architectural riche et noble. En la conservant, Gaboury rend hommage aux bâtisseurs d’autrefois tout en affirmant son propre geste contemporain. La pierre locale devient le fil conducteur d’une histoire collective où chaque relief nous ramène à la force symbolique d’un lieu à la fois sacré et communautaire.
Un passage vers la communauté

Cette entrée contemporaine, intégrée aux volumes historiques, prolonge la mission d’accueil de la cathédrale. Avec ses lignes sobres et ses matériaux bruts — pierre locale et structure métallique — elle traduit la volonté de créer un dialogue entre héritage et modernité. Ce porche, presque comme une main tendue, invite chaque visiteur à franchir le seuil, à entrer dans un espace où la mémoire du passé s’ouvre vers la vie collective et les rencontres d’aujourd’hui.
Un seuil entre terre et eau

Source : le site Internet de la cathédrale de Saint-Boniface
Vue depuis la rivière Rouge, la cathédrale de Saint-Boniface se dresse comme un repère silencieux. Elle fait face à la voie fluviale qui a vu arriver marchands, missionnaires et voyageurs venus d’Europe, du Québec et d’autres régions du Canada. Ce choix d’implantation, en plein centre de Winnipeg, exprime la relation intime entre la terre, l’eau et la spiritualité. Ici, l’architecture dialogue avec le paysage et rappelle que la foi et l’histoire sont, elles aussi, des voyages.
Aujourd’hui encore, la cathédrale de Saint-Boniface se dresse comme un repère dans le paysage winnipegois. Elle nous rappelle que l’architecture n’est pas seulement affaire de pierre, mais aussi de mémoire, de sens et de courage.
Dans notre prochain article, je vous invite à poursuivre cette exploration avec l’église du Précieux-Sang, une œuvre tout aussi marquante où Gaboury donne vie à la spiritualité à travers des formes organiques et audacieuses.
Bibliographie :
Site Web de la cathédrale de Saint-Boniface (s. d.)
Étienne J. Gaboury, site Web de la Winnipeg Architecture Foundation (s. d.).
Heliner, F. (dir.). (2005). Étienne Gaboury. Édition du Blé.
Note : À moins d’indication contraire, les photos ont été prises par l’autrice.



